Dans les défauts même de son nouvel opus, Zack Snyder démontre pour de bon qu´il est un auteur. Et oui.
Pas forcément identifiable du grand public dans la masse de réalisateur de blockbusters récents, plutôt apprécié des studios grâce à quelques succès très rentables, Zack Snyder provoque en revanche de sacrés remous dans la plus souterraine communauté geek. Adulé par les uns, méprisé par les autres, on ne compte plus les débats enflammés sur les forums cinéma ou dans les milieux consacrés. Il faut dire que le bougre donne souvent le bâton pour se faire battre en s’attaquant systématiquement aux icônes de cette culture et ce, dans chacun de ses films. Le pire étant la réussite insolente avec laquelle il s’en sort. Les raisons de cette relation amour/haine et du brio des films ne tient finalement qu’à une chose : sa personnalité.
Avec son premier film L’Armée des Morts, il transforme l’allégorie politique sous-jacente du Zombie de Romero en ébouriffant numéro de montagnes russes à l’efficacité redoutable, que certains n’hésitent pas à préférer à l’original. Pour 300, il parvient presque à étouffer les relents nauséabonds du comics de Frank Miller dans un péplum atypique (dont une méthode de tournage sur fond vert donnant une esthétique inédite) à la furie barbare et épique galvanisante. Le tour de force est encore plus grand pour son adaptation de Watchmen. Tout en respectant la tonalité désenchantée et démystificatrice des super héros de l’œuvre d’Alan Moore, il en produit dans le même temps l’exact contraire en les icônisant à outrance, magnifiant leurs actions et postures à coups de ralentis et de cadrages dynamiques. La facette torturée des personnages (dénués de super pouvoirs chez Alan Moore) n’empêchait pas Snyder de leur donner une image de dieux vivants cohérente avec son 300.
C’est donc la nature profonde de ces trois grandes réussites qui pose légèrement problème avec ce nouveau film fort étonnant. Alors que Snyder semblait à chaque fois s’atteler à des projets qu’on (ses détracteurs surtout) estimait trop ambitieux pour lui (Watchmen ne fut-il pas envisagé par Terry Gilliam au débuts des années 90 ?), ce Royaume de G’Hoole sorti du défi technique du film d’animation en 3D (une première pour Snyder) ne dégage pas la même portée. Adapté d’une série de romans pour enfants de Kathryn Lasky, la trame de La Légende des Gardiens ne dégage guère d’originalité (sorti du fait d’avoir des hiboux comme protagonistes) ou tout du moins Snyder ne parvient pas vraiment à en tirer la substantifique moelle qu’on devine présente dans les écrits. Jeune héros rêveur à la Luke Skywalker, fasciné par le mythe des hiboux gardiens (Jedi) et qui souhaite vivre la grande aventure, antagonisme fraternel, rite d’apprentissage, soit toute une série de figures typiques du récit d’initiation et d’aventure qui ne sort guère du lot. Snyder oscille entre la copie tiède (l’arrivée chez les Gardiens évoquant celle des hobbits chez les elfes dans La Communauté de l’Anneau, voire la découverte de la faune d’Avatar) et réelles fautes de goût, entre les acolytes agaçants du héros Soren ou encore une affreuse chanson pop FM accompagnant une ellipse musicale légère à la Disney. Dans l’ensemble Snyder prouve définitivement qu’il n’a pas le sens du merveilleux d’un Spielberg ou d’un Jackson et se rate grandement lorsqu’il (même si la tentative est louable) tente de donner dans la pure fantasy pour enfant. La série récente des Narnia est bien plus convaincante à ce niveau. On s’accrochera donc pour un temps à la réelle réussite esthétique en partie due au studio Animal Logic (à la base du merveilleux Happy Feet de George Miller). Les chouettes sont incroyables d’expressivité (les séquences d’envol sont particulièrement envoûtantes, accentuées par une 3D bluffante), les décors enchanteurs et la photo somptueuse.
Le brutal réveil de l’incroyable dernier tiers n’en sera donc que plus foudroyant tant Snyder semble soudain reprendre les rênes de son film. La cohérence thématique de 300 et Watchmen se dévoile soudain lorsque le héros Soren se retrouve confronté à la réalité en rencontrant le héros quelque peu dépenaillé des histoires de son enfance, loin de la figure fantasmée. La confrontation entre le mythe et sa réalité puis sa transcendance sont au cœur des thématiques de Snyder. 300 se présentait ainsi sous la forme d’un récit rapporté par un Spartiate avant une autre grande bataille pour galvaniser les troupes (justifiant ou du moins expliquant le côté outrancier ayant suscité les accusations de fascisme). Révélant toujours ses personnages au coeur du combat, Snyder délivre ici une conclusion épique fabuleuse, dont la noirceur dépasse soudainement le cadre du film pour enfants. L’aura mythologique si chère à Snyder zèbre l’écran à plusieurs reprises lors des affrontements hargneux entre les volatiles. Les figures typiques du réalisateur reprennent alors leur droit à travers les ralentis/arrêts sur image magnifiant l’aspect guerrier et héroïque des bons ou menaçant et inquiétant des méchants. A ce titre, on peut souligner le fabuleux doublage de Helen Mirren en reine Nyra manipulatrice et odieuse à souhait, mais on en attendait par moins de la fée Morgane d’Excalibur. Le climax est probablement atteint lorsque le jeune Soren survole les flammes, sur fond de The Host of seraphim de Dead Can Dance, le film atteignant une grâce qu’on envisageait pas lors de la première moitié consensuelle.
Le relatif insuccès du film actuellement aux USA semble confirmer les constats de ce Royaume de Ga’Hoole. Contrairement à l’impression puérile qu’il dégage, Zack Snyder n’est pas un simple faiseur de studio et quand il tente de se plier à un projet plutôt que l’inverse, ça ne fonctionne pas complètement. C’est dire si l’attente de sa relecture de Superman (annoncée récemment) peut rendre impatient tant l’épopée du Man of Steel semble répondre parfaitement aux préoccupations du réalisateur.
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Titre original : Legend Of The Guardians - The Owls of Ga'Hoole
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