« A quoi bon ! Sans mes voix, je ne suis rien. »
La Jeanne de Ramos est quasi muette. N’entendant plus ses voix intérieures après son saut de la tour, elle devient mutique. Le film est loin d’être muet pour autant. Si Jeanne est silencieuse, autour d’elle, tous se chargent d’occuper l’espace de parole. Prisonnière certes, Jeanne sera tout le long du film cernée par les hommes : Jean de Luxembourg (Louis Do de Lencquesaing), le geôlier (Pierre Pellet), le médecin (Thierry Frémont), l’Anglais (Liam Cunningham)… Tous tentent de réanimer la jeune femme. Elle est ainsi constamment regardée, épiée, admirée par ces hommes. La caméra cadre l’actrice au plus près, détaille son corps et son visage en gros plans. Au risque d’une certaine préciosité souvent par l’insistance quasi maniériste de la mise en scène. Philippe Ramos multiplie les effets de style dramatisants et/ou redondants (certains gros plans, de trop nombreux ralentis ou arrêts sur image, l’emphase musicale tout sauf fine….) qui contredisent parfois la sévérité de sa mise en scène et l’esthétique glaciale, mais superbe, de la photographie du film (qu’il réalise lui-même).
Le film tient tout entier sur la prestation de Clémence Poésy. Elle offre sa Jeanne comme un personnage halluciné mais dénué de la violence presque maladive, voire hystérique, qui a pu caractériser certaines interprétations précédentes de la pucelle d’Orléans. Le physique extrêmement juvénile de Poésy sert complètement le rôle auquel elle donne un caractère presque boudeur. Au propre comme au figuré, le film marque un trajet. A l’enfermement dans la tour, répond le transport de Jeanne par les Anglais, au mutisme le retour à la parole. Ferrée dans un chariot, Jeanne/Clémence en déchire la toile pour apercevoir un bout de ciel d’un air de bienheureuse à la folie douce, presque mélancolique. Autant Ramos désoriente par certains de ses choix (non choix ?) , autant tout ce qui a trait à Jeanne est une franche réussite. Il lui insuffle une sorte de transe sourde, une simplicité et un calme presque effrayants pour les hommes qu’elle côtoie : ses phrases banales se chargent ainsi de double-sens prophétiques qui l’isolent d’autant plus. Du premier plan, d’une extrême proximité à la caméra, Jeanne va alors s’éloigner dans le plan jusqu’à s’y évanouir complètement, disparaître. Du bûcher, on ne verra quasiment rien : quelques plans furtifs, à la dérobée. Peu importe, Jeanne n’est déjà plus là.
Dommage que le film se noie, au dernier acte dans un symbolisme éculé qui voit débarquer un Mathieu Amalric caricature de lui-même en prédicateur, nouveau saint Jean-Baptiste qui vient rebaptiser une nouvelle France purifiée par le sacrifice de Jeanne. Dans ce nouvel Eden, de nouveaux Adam et Eve batifolent dans l’herbe nus sous les rayons d’un éclatant soleil. En disparaissant de l’image, Clémence Poésy enterre le film avec elle, preuve s’il en est que cette Jeanne captive ne parvient à séduire que grâce à son impressionnante interprétation.
A lire aussi l’interview de Clémence Poésy.