I’m your man

Article écrit par

Et si vous tombiez amoureuse du robot mâle qui ne vous veut que du bien ?

Une comédie grinçante

Ce film mériterait certainement mieux que de sortir en plein été. Réalisé par Maria Schrader, actrice et réalisatrice à qui l’on doit Stefan Sweig, Adieu l’Europe dans lequel elle décrit en six scènes les dernières années du célèbre écrivain autrichien, en exil en Amérique de 1936 à 1942. En 2019, elle réalise pour Netflix la série à succès Unorthodox, basé sur un roman de Deborah Feldman, racontant l’histoire d’une jeune femme juive ultra-orthodoxe à New-York, fuyant la communauté hassidique. Ce coup-ci, elle plante sa caméra pour filmer une comédie dans le style de celles où apparaissaient Cary Grant, James Stewart et Katharine Hepburn mais pour décrire une situation des plus angoissantes. René Descartes considérait en son temps que les animaux n’étaient que des machines. Cette théorie de l’animal machine a, depuis lors, été vivement rejetée mais, dans ce film, et sous des dehors de romance, Maria Schrader et son scénariste Jan Schomburg s’inspirent de la nouvelle Ich bin dein mensch d’Emma Braslavsky pour imaginer un homme machine. A une époque où les algorithmes rythment nos vies, nos choix et nos amours, cette histoire d’une jeune femme qui finit par tomber amoureuse du robot masculin, qui doit la rendre heureuse à tout prix et qu’on lui a prêté pour qu’elle le teste, est une belle métaphore de l’avenir qui nous attend.

Un androïde interprété par un humain

Dans Sayonara, en 2015, le réalisateur japonais Kôji Fukada avait quant à lui raconté une histoire post-apocalyptique mettant en présence deux femmes dont l’une était interprétée par l’androïde Geminoid F et c’était vraiment très réussi et très angoissant puisque le film parlait d’accidents nucléaires à répétition. Ici, le propos est peut-être plus léger et le robot est interprété par un vrai humain formidable, Dan Stevens, mais le résultat est tout aussi angoissant. Quel est l’avenir de l’amour dans un monde où tout est calculé, prévisible et manipulé ? Les Anciens en ont rêvé avec divers mythes dont celui de Prométhée qui fabriquait des êtres humains à partir de terre et d’eau, ou encore de Pygmalion tombé amoureux de la statue qu’il avait créée si bien qu’il demanda à la déesse Aphrodite de lui donner la vie. La réalisatrice s’explique dans le dossier de presse du film sur ses intentions : « Le point de départ est une nouvelle, qu’on m’a présentée très simplement : « une femme rencontre un robot ». C’était suffisant pour susciter mon intérêt. Cette simple phrase évoquait le « boy meets girl » de Billy Wilder mais avec deux renversements importants : « girl meets boy » et « girl meets robot-boy ».

Dépasser les dieux

Il est vrai que l’homme a toujours voulu dépasser les dieux et on dirait que, de nos jours, il y soit presque parvenu et pas nécessairement pour son bonheur. Pourtant, I’m your man se situe dans une ambiance où les images sont magnifiques et très nettes. Elles sont dues à Benedict Neuenfels tout comme les décors de Cora Pratz participent à créer des intérieurs à la fois feutrés et désinvoltes où les robots qui rendent heureux ne devraient pas avoir leur place. Ce film est en fait glaçant et froid comme l’acier parce que, justement, il se veut l’envers du décor d’un monde où le bonheur des gens serait fabriqué par des algorithmes et des humanoïdes déshumanisés. Le pire danger serait alors de tomber amoureux de ces machines tout aussi terribles que d’aimer les chaînes qui nous entravent. Malgré son happy-end sans doute imposé par la production, le film est impitoyable envers le genre humain décidément trop romantique et naïf, ce que la réalisatrice analyse finement de la manière suivante : « Lorsque Alma remet son rapport à son supérieur et déconseille la commercialisation de robots comme Tom, elle ne craint pas qu’ils deviennent hostiles ou violents, mais plutôt tellement altruistes, civilisés et pacifiques, en un sens indispensables et supérieurs, que tôt ou tard, ils rendraient l’humanité obsolète. »

 

 

Titre original : Ich bin dein Mensch

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 105 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.