Cinéma marocain : Dynamisme, tendances et caractéristiques

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Le cinéma marocain traverse une période inédite de sa jeune histoire; si les professionnels viennent de célébrer en 2008 le cinquantenaire du premier film réalisé par un Marocain, L’enfant maudit de Mohamed Ousfour (1958), l’année 2009 connaît un engouement sans précédent pour le film marocain, pour le cinéma marocain

Depuis quelques semaines, en effet, le cinéma est la matière principale de l’actualité non seulement artistique mais également sociale, culturelle et politique. Des films sortis début 2009 suscitent des polémiques, drainent les foules dans les sales et font réagir des parlementaires.
Le cinéma s’épanouit et montre un nouveau visage en termes de production mais aussi en termes de renouvellement de génération avec l’arrivée de jeunes cinéastes. C’est ce que l’on a qualifié de dynamique du cinéma marocain. Quelles en sont les principales caractéristiques ? Quelles en sont les causes ? Je pourrai décrire cette dynamique par un schéma à deux niveaux : une description des caractéristiques qui font que l’on peut parler d’une dynamique et à un deuxième niveau pour une tentative d’explication de cette dynamique. Ce dynamisme se décline au moins à travers trois aspects : la régularité ; la visibilité ; la diversité.

Régularité
Depuis quelques années déjà le cinéma au Maroc connaît un rythme de croissance régulier : huit, dix, douze longs métrages par an. Cela s’insère dans une stratégie qui vise selon les perspectives tracées par le Centre Cinématographique Marocain de parvenir à l’horizon 2012 à une moyenne de 28 longs métrages par an. Le court métrage bénéficie également de cette embellie ; en 2006 le record de 70 films courts a été atteint… Ils sont révolus les temps où cette cinématographie se ramenait à une moyenne d’un film et demi par an ! Le Maroc était à la traîne sur le plan régional et continental. Aujourd’hui, il est en position de leadership aussi bien sur le plan maghrébin qu’arabe. La dixième édition du festival national qui s’est tenue à Tanger a vu la participation de 14 longs métrages en compétition officielle. Pour répondre à cette régularité, le festival a d’ailleurs décidé de réviser sa périodicité, il est désormais annuel. Tout un ensemble qui montre le chemin parcouru depuis la naissance du festival en 1982 et dont l’organisation n’était jamais certaine faute de production régulière. Aujourd’hui c’est une nouvelle page qui commence.

Visibilité
Cette production régulière est de plus en plus visible. Le film marocain est vu et d’abord chez lui. C’est une donne essentielle qui marque un vrai tournant dans la jeune histoire du cinéma marocain. Depuis trois ans ce sont pratiquement deux, trois films marocains qui arrivent en tête de box office ; pour 2006, par exemple, c’est Marock le premier long métrage de la jeune cinéaste Laila Marrakchi qui est arrivé en tête devant deux autres films marocains, La symphonie marocaine de Kamel Kamel et Les ailes brisées de Majid Rechich…en 2007 ce sont deux autres films marocains, Les anges de Satan de Ahmed Boulane et Nancy et le monstre de Mahmoud Frites qui ont réussi le plus d’entrées. Et en 2008 Lola de Nabyl Ayouch est arrivé en tête. Cette belle performance des films marocains leur permet d’occuper en 2008 et ce pour la première fois de l’histoire, la deuxième place au box office par nationalité. Les résultats réalisés par deux films récents, Casanegra de Nourdine Lakhmari et Amours voilées de Aziz Salmi assurent que cette performance sera reconduite pour 2009…
Mais c’est un cinéma qui est visible aussi à l’étranger notamment dans les festivals internationaux : il ne se passe pas un mois sans que le cinéma marocain ne soit l’invité d’une rétrospective, d’un spécial ou d’un panorama. Symboles de cette ouverture internationale, le Maroc avait assuré l’ouverture de la nouvelle section créée en 2005 à Cannes Tous les cinémas du monde et en 2006, le Maroc a fait son entrée au Village international de Cannes en ouvrant un pavillon qui a rencontré un succès indéniable. Dans le cadre de la nouvelle édition du FESPACO, mars 2009, à Ouagadougou (Burkina Faso) le Maroc est présent avec force en compétition puisque il est le seul pays africain, avec l’Afrique du sud, à présenter trois films en compétition officielle.

Diversité
Partout, là où il est présenté, une première remarque s’impose, ce cinéma est porté par une grande diversité de thèmes, d’approches esthétiques. Et c’est une diversité qui reflète un brassage révélateur de l’arrivée de jeunes cinéastes, lauréats d’écoles, autodidactes, issus de la diaspora…c’est le véritable moteur de cette dynamique.

Un pays de cinéphilie
Comment on est arrivé à cette situation ? Qu’est-ce qui pourrait expliquer ce dynamisme ? Je formule une explication basée sur la conjugaison de trois facteurs :

– L’existence d’une tradition cinéphilique qui fait que le cinéma au Maroc est chez lui. Une tradition qui a connu son âge d’or dans les années 70 avec notamment le mouvement des cinés clubs qui ont porté la culture cinématographique très loin dans le pays profond ; mouvement qui a produit ses figures emblématiques dans les domaines de l’animation et de la critique cinématographique.

L’existence d’une génération de cinéastes pionniers qui ont résisté à la traversée du désert et qui ont permis que le cinéma reste un horizon professionnel possible. Ce sont eux qui ont assuré au cinéma son ancrage dans notre paysage culturel. Dès le début des années 60, en effet, des jeunes sont allés étudier le cinéma en Paris, à Lodz, à Moscou…ils sont rentrés défendre un cinéma en symbiose avec les attentes du pays ; ils ont assuré le démarrage des premiers films institutionnels ; ont produit leurs premières œuvres de fiction souvent dans des conditions difficiles mais qui ont donné lieu à des films devenus des référence aujourd’hui pour la nouvelle génération.

– L’existence d’une réelle volonté publique d’aider le cinéma ; volonté illustrée par le Fonds d’aide à la production cinématographique devenue depuis 2004 l’avance sur recettes et dont l’enveloppe atteint aujourd’hui les 5o millions de dirhams (5 millions d’Euros) ; on parle de 7O millions de dhs pour la nouvelle année et à l’horizon proche, la barre symbolique des cent millions de dirhams sera franchie !

Le Maroc continue en outre à être une destination privilégiée pour les productions internationales; en 2008, un milliard de dirhams (10 millions d’Euros) ont été investis dans l’économie marocaine par cet apport. Ouarzazate est le fleuron de cette dimension internationale; elle offre des atouts naturels, humains et professionnels qui permettent à notre pays malgré une concurrence de plus en plus rude, d’accueillir des productions prestigieuses.

L’ensemble de ses éléments constitue aujourd’hui un écosystème qui rend l’émergence d’une véritable industrie du cinéma une option non seulement légitime mais crédible. L’engouement constaté des jeunes pour les métiers du cinéma constitue une garantie d’avenir. On assiste en effet à une très forte demande émanant de jeunes voulant embrasser la carrière de cinéma. Ce qui fait de la question de la formation l’un des premiers points à l’ordre du jour pour les années à venir. Un signe heureux dans ce sens, un court métrage réalisé par un étudiant de l’école de cinéma de Marrakech (ESAV-M) a été primé à San Sébastian lors de l’édition 2008 dans la section films d’école, par un jury présidé par le cinéaste Amos Gitai…le même film a été retenu en compétition officielle internationale du festival de Clermont Ferrand.

Cet engouement, cet intérêt public et culturel pour le cinéma s’explique fondamentalement par la nouvelle place acquise par le cinéma dans la production artistique. On peut affirmer sans risque d’erreur que le cinéma constitue aujourd’hui la première forme d’expression de l’imaginaire collectif de la société marocaine. Le public commence à se familiariser avec les productions cinématographiques locales retrouvant des codes et des figures récurrentes le fidélisant sur la base d’un contrat de communication narratif et esthétique explicite. Le cinéma marocain n’est plus un concept. Il n’est plus une abstraction. C’est désormais un vecteur d’expression avec des représentations sur la société marocaine accompagnées de surcroît de la découverte du plaisir du récit. A l’instar des cinémas installés, il fonde son succès sur la base de la constitution de certains stéréotypes assurant au public des éléments de reconnaissance et des « retrouvailles » avec son image autour de thèmes, de lieux ou tout simplement de figures de reconnaissances tangibles. C’est ainsi qu’un cinéma populaire n’hésite pas à puiser sa thématique dans l’actualité immédiate dessinant de grands axes de signification sur lesquels s’établit un consensus social : le statut de la femme, l’émigration clandestine… par exemple.

Il y a toute une tendance du cinéma marocain porté par ce que l’on qualifierait le scénario de proximité où les ingrédients de la vie quotidienne forment la base du ressort dramatique (les films de Mohamed Smaïl, Hassan Benjelloun, Saad Chraïbi, Hakim Noury…). C’est un courant social qui n’hésite pas à aborder de front certains sujets qui font débat. Le film Ali Zaoua de Nabil Ayouch avait frappé les esprits par l’originalité du regard porté sur une réalité, banalisée par les clichés médiatiques. Ce film était l’expression de l’irruption de la société civile comme composante du débat public. Le film ayant convaincu par la force de sa thématique et a séduit par sa démarche esthétique originale. Comme ce fut le cas aussi avec les films qui ont abordé les années de la répression politique dans les années 70. On peut même dire à ce propos que le cinéma joua un rôle précurseur avec des approches différenciées de la question de la mémoire : La Chambre noire de Hassan Benjelloun adapte sur un registre mélodramatique le récit autobiographique d’un ancien détenu politique tandis que Mémoire en détention de Jilali Ferhati joue sur le registre de l’ambiguïté en mettant au centre de récit un détenu amnésique ; il sort de prison pour entamer un quête dans sa mémoire refoulée à l’instar de toute une société qui cherche à se réapproprier son destin. Avec Où vas-tu Moshé? Hassan Benjelloun revient sur un épisode douloureux de cette mémoire collective, celui de l’exode des populations marocaines de confession juive. D’autres cinéastes notamment de la nouvelle génération mettent l’expression cinématographique au service de la diversité culturelle du pays avec une ouverture sur la mangue amazighe (berbère) qui est la langue originelle du pays, c’est le cas entre autre de Hicham Ayouch avec Les arêtes du cœur qui offre un double déplacement dans l’espace: l’espace géographique, puisque sa caméra va à la découverte de régions encore vierge "cinématographiquement" et un déplacement dans la géographie linguistique du pays. Ahmed Boulane s’est emparé à chaud, dans son film Les anges de Satan d’une affaire judiciaire (des jeunes musiciens accusés de pratique satanique) pour offrir à la jeunesse un film qui lui envoie sa propre réalité dans une démarche empreinte de référence cinéphilique. Cet intérêt pour les grands sujets de société n’occulte pas des films qui investissent le champ de l’intime. Le vétéran Latef Lahlou dans Les jardins de Samira aborde un sujet délicat relevant de l’intimité du couple avec une approche sensible sans extravagance ni bavardage. Un regard d’une grande finesse sur la solitude et la détresse sentimentale d’une jeune femme.

Globalement, la tendance dominante au sein du cinéma marocain permet de circonscrire des éléments de stabilisation esthétique autour de trois paramètres qui pourraient aider à caractériser le cinéma marocain contemporain :

– L’émergence de la figure de l’acteur, notre cinéma a de plus en plus ses têtes d’affiche, ses comédiens populaires qui fonctionnent aussi comme vecteur de marketing.

– Un nouveau statut pour le scénario ; la question de l’écriture retrouve tout son intérêt illustré par l’instauration d’une aide au développement de scénario

– La prépondérance de la scène au détriment du plan comme principe d’écriture. La mise en scène des films, elle-même, connaît un nouveau recentrage. Si le cinéma des années 70 était estampillé cinéma du plan, celui qui assura le tournant des années 90 mise sur des segments narratifs plus larges, sur la scène comme entité de base du récit. Nous sommes alors dans un régime de lisibilité comme promesse de davantage de visibilité

Mais, comme je l’ai déjà souligné, le cinéma marocain n’est pas monolithique, sa richesse réside dans sa diversité. A côté du cinéma « du scénario » qui cherche à baliser la réception publique du film, se développe un autre cinéma qui s’inscrit dans une stratégie de dépassement des stéréotypes en proposant d’investir d’autres lieux (Yasmine Kessari, Smail Ferroukhi…), mobilisant d’autres vecteurs d’intelligibilité du réel jouant notamment sur la restructuration du récit, mettant en avant un nouveau rapport à la fiction irrigué d’une esthétique documentaire (Daoud Oulad Syad…) ou un regard empreint de cinéphilie (Faouzi Bensaïdi).


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