C’est qui cette fille ?

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Malgré sa vision un peu cliché de Paris, le dernier film de Nathan Silver met en scène de bons acteurs, notamment l’égérie de « Frances Ha ».

Une anti-comédie romantique

Ce sixième film et demi de Nathan Silver, qui a changé souvent de titre en France et qui s’appelle Thirst Street aux USA, nous offre la possibilité de retrouver l’incroyable actrice américaine, Lindsay Burdge, qu’on avait découverte dans le magnifique film de Noah Baumbach, Frances Ha, en 2012. Dans cette nouvelle anti-comédie sentimentale, un peu comique, un peu chantée, mais surtout très désenchantée, elle interprète le rôle d’une hôtesse de l’air foldingue, puis complètement folle par amour et en laquelle chacune ou chacun pourra bien sûr un peu se retrouver. Bien qu’américain, le film met quand même en scène ce que le réalisateur qualifie de « fine fleur » du cinéma français, notamment un étonnant Damien Bonnard, vu récemment dans En liberté ! de Pierre Salvatori, vu à Cannes, sur lequel nous reviendrons. Mais aussi Esther Garrel, assez bluffante dans un contre-emploi et dont le jeu se bonifie, mais bien sûr Jacques Nolot en patron de night-club et qu’on ne présente plus. Il faut dire que l’action se situe en grande partie dans le Paris qui séduit les Américains depuis les années 50, à la fois romantique, pittoresque, et sexy avec ses boîtes de nuit, ses strip-teaseuses et ses nuits chaudes.

Les amours d’une hôtesse de l’air

Du coup, le parti-pris de ce film assez inattendu et captivant, du moins pour ses deux-tiers, est d’avoir privilégié l’image parfois léchée, parfois un peu glauque, due au talent de Sean Price Williams, et la voix-off, narrative, grave et mystérieuse d’Anjelica Huston. Et surtout de nous conter une, voire deux histoires d’amour malheureuses, puisque Gina (peut-être en hommage à Gina Rowlands) est une femme amoureuse volante mais plus que passionnée. Après le suicide de son mari, l’hôtesse de l’air s’envoie en l’air sur les conseils de ses copines et tombe, un peu grâce aux talents d’une cartomancienne botoxée, sur un french lover interlope qui, de plus, travaille dans une boîte de nuit. On pourrait dire que cela fait cliché, on pense au Pigalle des films noirs, car le titre du film, C’est qui cette fille ? reprend une réplique prononcée par Clémence, un peu jalouse, un peu amusée aussi, par la passion dévorante de Gina pour son Jérôme/Paul qui s’en moque, comme tout bon macho dont certaines ne voudraient même pas pour s’en faire un paillasson ! Mais le gay Paris bouleverse notre petite hôtesse qui va jusqu’à tout abandonner pour ce qu’elle croit être l’amour et qui n’est souvent qu’illusion. Mais elle finira par réussir dans un happy end à la fois féerique et cruel qu’on ne dévoilera pas, mais qui permet au réalisateur de jouer sur divers panneaux, et même la comédie musicale à la manière d’un Woody Allen en goguette à Paris (décidément !) dans Tout le monde dit I love you (1996), ou encore La la Land de Damien Chazelle (2016).

Un Paris des films romantiques

C’est peu-être le succès de l’été, pourquoi pas ?, mais c’est aussi un film sous influence, celle de Walerian Borowczyk et de son univers érotique, ce qui pourtant est loin de sauter aux yeux, en tout cas moins que l’influence du cinéma de R. W. Fassbinder ou le réalisme poétique français. Ce qui est intéressant, c’est d’avoir plongé son actrice dans le bain de la France, et plus exactement Paris bien sûr, comme Nathan Silver le raconte lui-même dans le dossier de presse du film : « Nous avons tourné pendant trois semaines à Paris et pendant la première, Lindsay n’avait rien à faire. De sorte qu’elle était dans le même état d’esprit que son personnage : esseulée car elle ne parlait que très peu français. Ça l’aidée à rentrer dans la tête de son personnage. Je lui ai donné plusieurs films à voir et elle a avancé de son côté. Les films de Cassavetes font partie intégrante de son ADN car elle les a vus un millier de fois. Elle a, sur mes suggestions, vu Der Wald vos Lauter Baümen de Maren Ade. Le film parle d’un personnage qui se moque de l’injonction sociale, ou de savoir si elle correspond à son environnement ou pas. »

Titre original : Thirst Street

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Durée : 83 mn


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