Baby Driver

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Auteur de parodies décomplexées et reconnu habile pour son sens du mélange des genres, le Britannique Edgar Wright revient aux commandes pour son premier film américain, « Baby Driver ».

A l’instar des parodies d’Edgar Wright, Baby Driver se révèle lui aussi saturé de citations et de clins d’oeil, d’une part au cinéma, avec des références incontournables comme Bonnie and Clyde (Arthur Penn, 1967) dont le film reprend le thème des amants criminels, ou plus espiègles comme avec la reprise d’une réplique du dessin-animé Monstres et Cie (Pete Docter, 2001) ; d’autre part à la musique avec une bande-son gourmande de plus de quarante titres qui va de James Brown à Barry White en passant par Dave Brubeck, les Commodores, R.E.M. ou encore Queen. Le protagoniste, un jeune chauffeur laconique, souffre d’un acouphène dû à un accident de voiture traumatique qui lui fit perdre ses deux parents pendant son enfance et, depuis, ne cesse d’écouter de la musique : une manière de justifier la bande-son rutilante comme de transformer un handicap en atout pour accoucher d’un personnage à la fois spécial et diablement « cool », destiné à devenir mémorable.
 


En pilotage automatique

Néanmoins cette forte présence de références plus ou moins explicites – on pense à une version adolescente et comique de Drive (Nicolas Winding Refn, 2011) – se révèle encombrante et dessert le film qui finit par se résumer à peu près à un seul grand jeu pour cinéphiles et mélomanes. A part ça rien de bien nouveau : Wright reprend des éléments et les additionne selon une technique de collage, de la même manière que son personnage remixe des phrases prononcées par les personnes qu’il côtoie. Il nous serait ainsi difficile de relever une seule idée vraiment nouvelle – du procédé bien éculé de dédramatisation de la violence à l’histoire très romantique en milieu inadéquat, en passant par le casting qui, à part nous révéler deux jeunes premiers, ne prend pas beaucoup de risques. Kevin Spacey et Jamie Foxx avaient en effet déjà été réunis dans Comment tuer son boss (Seth Gordon, 2011) où ils se révélaient plus drôles. On les avait de plus déjà aperçus dans des rôles similaires en mieux, chez Spacey on ne remarque rien de changé mis à part le port de lunettes, une nouveauté tout de même un peu minime. Déclinant des schèmes et des fantasmes – comme l’échappée entre tourtereaux sur la route avec la musique à fond, un cliché parmi les clichés – ainsi que des prototypes bien connus – du couple de gangsters auquel celui de Baby et Deborah fait écho au chef qui ne se mouille pas -, le film de Wright semble dès lors presque en pilotage automatique, pusillanime et paresseux.
 


Du plaisir quand même

Cela dit, il n’empêche que Baby Driver fonctionne. Sans temps mort, il parvient à embarquer le spectateur pendant presque deux heures dans son histoire, à l’aide d’une mise en scène et d’un montage très maîtrisés, qui forcent le respect, notamment lors de courses-poursuites en voiture découpées avec soin et qui donnent presque le vertige. On note aussi le plan-séquence accompagnant le générique de début pendant lequel Baby va chercher des cafés tout en interagissant avec son environnement en phase avec la musique dans ses oreilles, ou les panoramiques caressants qui entourent en douceur Baby et Deborah lors de leur dîner à la Bacchanale. L’entrée en matière, mutique et musicale, lors de laquelle le jeune chauffeur attend les gangsters qu’il conduit faire leur braquage tout en mettant à fond sa musique et jouant avec les essuie-glaces de sa voiture avant de démarrer en trombe, s’avère réjouissante. Reconnaissons qu’on éprouve d’ailleurs dans l’ensemble un certain plaisir devant ce film qui, faute d’innover le genre, arrive sans peine – grâce à l’indéniable savoir-faire d’Edgar Wright, à la verdeur et la virtuosité du protagoniste comme à sa bande-son peu surprenante mais efficace – à s’imposer comme un divertissement estival de choix, mais pas plus.

Titre original : Baby Driver

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Durée : 113 mn


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