Villa Amalia

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Misant sur une totale transparence de ses effets, Benoît Jacquot s’expose, dans cette adaptation du roman de Pascal Quignard, à l’inquiétant affadissement de son art.

Entre geste et parole, Benoît Jacquot n’a peut être à ce jour jamais vraiment tranché, son cinéma ayant trouvé pertinence et signature dans l’alliage et l’enchevêtrement (Sade ; L’école de la chair…), la rivalité ( Le septième ciel ; La fausse suivante…) ou l’alternance (À tout de suite…) des deux matériaux. Articulation soigneuse de la langue – prenant soin d’accorder la place nécessaire à la ponctuation (on intercepte dans ses films liaisons et virgules comme nulle-part ailleurs dans le cinéma français d’aujourd’hui) – et ultra-lisibilité du mouvement se partagent donc la marmite, l’un ne prenant jamais durablement l’ascendant sur l’autre, parfois pour le meilleur (Le septième ciel, l’un de ses films les plus simplement « humains », d’une justesse désarmante) parfois pour le pire (Sade, film un peu dévoré par ses « intentions » et intonations).

Villa Amalia, film marquant une pause dans son association avec la muse Isild Le Besco, fête les retrouvailles du cinéaste avec l’une de ses actrices fétiches : la toujours insondable Isabelle Huppert. Adaptation d’un roman de Pascal Quignard, ce film prend semble-t-il le pari de transposer sur grand écran son écriture franche et fragmentaire, d’accéder par l’image à l’impact blanc des mots d’un auteur dont l’une des marques serait le caractère elliptique des récits. Nul hasard, donc, à ce qu’ici n’importe que la « formation » de la parole, sa matérialisation. L’amitié amoureuse unissant Ann, la cinquantaine, pianiste, désireuse de se défaire enfin de toute attache la faisant encore appartenir à la société (son métier, son couple, son appartement…) et Georges, camarade de jeunesse surgissant une nuit, à peu près de nulle-part, sinon peut-être d’un vague passé, ne souffrira d’aucune promesse d’évolution. Tout tiendra, entre eux, sur le fil d’une pure formulation de visions, au mieux soucieuse de la garantie d’une validation, d’une moindre « réception », au pire totalement libérée du soucis de faire trace, de devenir maillon d’un potentiel dialogue.

                                                                                                  

Le pari, audacieux, ne manque pas de charme. Surtout dans les premières minutes du film, le temps de se rendre compte, à force de faux-raccords et d’évanouissement répété des séquences dans le gouffre d’un refus d’installation, qu’il ne faudra cette fois pas attendre davantage. Villa Amalia s’assumera donc tout du long dans sa parfaite clarté, heureux de sa transparence de style et d’intention. Le constituera comme le plaisir très manifeste de ne proposer aucune autre perspective esthétique et narrative que celle de cette sèche articulation d’effets, dont la virtuosité certaine n’atténuera jamais la dimension irritante. Parole et geste sont ainsi alignés dans un travail de neutralisation de l’humain – par « humain », nous entendons bien sûr aussi bien raisonnement, manifestations de l’intellect, que pulsions, identification d’affects par leur extériorisation. Cette esquive de la psychologie n’est bien sûr pas toujours problématique, la tentation du behaviorisme étant chose courante dans le cinéma contemporain, pour le meilleur (Gus Van Sant, Lynch…), comme le pire (les premiers Fincher, tout un courant du cinéma à penchant maniériste des années 90/00).

Sauf que, justement, à défaut de se vouloir psychologique, le cinéma de Benoît Jacquot ne semble pas tout à fait disposé encore à renoncer à la question de l’écriture, et surtout de la « lecture », l’intelligibilité d’une histoire – finalement très linéaire. Scénario et dialogues, soucis de l’articulation des fragments du récit, même à froid, restent les assises d’une attestation d’existence de son art. D’où que la transparence de ses procédés soit, lorsqu’il joue aussi ouvertement la carte de la distanciation, signe d’une inquiétante claudication. Aussi serait-il raisonnable de ne pas se satisfaire de semblable vacuité, et évaluer ce dernier film avec la sévérité requise devant l’attente d’une nécessaire remise en question ; de celles ayant par exemple permis l’année dernière à Jacques Doillon, cette année à Jean-Claude Brisseau de retrouver, par le seul biais de la croyance en leurs modestes aventures, la grâce inespérée des premières fois.

                                                                                                   

Titre original : Villa Amalia

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Durée : 91 mn


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