Le premier tiers du film est consacré à ses errances nocturnes, ses retours à l’appartement qu’il occupe avec son fils, où ivre mort, il fait des crises, geint, crie et pleure comme l’enfant qu’il est peu à peu devenu. L’échange des rôles est consommé, c’est l’enfant qui le nourrit, le lave et rapporte l’argent au foyer. Eric Khoo explore assez lourdement le filon de la difficile relation entre un père incapable d’en être un, et un enfant obligé d’être adulte avant l’heure. L’intérêt de ce schéma usé tient surtout en la volonté soudaine du père de se racheter (littéralement), en offrant à son fils un meilleur avenir que le sien. Pour gagner de l’argent, il redevient le magicien qu’il était il y a longtemps, et se produit tous les soirs.
La gloutonnerie de Francis, suggérée dès la première scène du film à travers une absorption frénétique d’alcool, n’a d’égal que ses bonnes intentions. En voulant gagner toujours plus d’argent pour son fils, il amorce un long suicide rédempteur.
On est d’emblé fasciné par le personnage : quelques plans magnifiques nous le présentent, immense et immobile, les cheveux détachés. Il est une réminiscence de la figure de l’ogre : gigantesque, dangereux et inadapté. Ailleurs homme des bois, il erre au milieu d’une végétation luxuriante, titubant et manquant de tout écraser sur son passage.


L’acte de magie incarne dans le film la rédemption de ce père. Lors de ses premières représentations dans un café lugubre, l’ogre incertain n’est plus que précision, force et objet de fascination.
Mais s’il se réapproprie pour un temps un corps qu’on pensait incontrôlable, Francis est aussi le réceptacle de tous les supplices (barre de fer, sabre, tesson de bouteille, aiguille). L’art du Fakir n’est pas ici celui de l’illusion, du joli foulard qui détourne l’attention avant le coup d’éclat final et les applaudissements, mais bien une illustration de la capacité à repousser les limites de la tolérance à la douleur d’un corps humain.
Eric Khoo nous parle d’un homme exploité, soumis à une violence symbolique imprégnant sa vie bien au-delà de la scène (inexistante par ailleurs) où il exécute les ordres d’un patron flirtant avec la petite mafia. Pour « incarner » le sort des exploités, des exilés (Francis et son fils sont indiens) soumis à cette logique du sacrifice quotidien, le magicien exécute des tours de magie toujours plus violents et de moins en moins illusionnistes.
L’ultime scène du film pourtant, sorte de rêverie d’un idéal familial par l’enfant, joue avec la « mise en scène » classique d’un spectacle de magie, une scène, encadrée de lourds rideaux de velours, fortement éclairée, où Francis fait léviter son assistante retrouvée (qui n’est autre que sa propre femme), et réactive la capacité de la magie à offrir une réalité sublimée.