Mobile Étoile

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La chanteuse de psaumes.

Après sa trilogie américaine (The Shade, 1999 ; I am Josh Polonski’s brother et Apartment #5C, 2001) et ses deux films tournés en Israël (Tehilim, 2007et Avanim, 2004), Raphaël Nadjari pose sa caméra à Montréal pour son premier film joué en langue française. A nouveau pays, méthode identique ; Nadjari privilégie toujours le storyboard au trop contraignant scénario et dirige une nouvelle fois les acteurs selon sa méthode de la « comportementation », néologisme dérivé de l’anglais behavorism.
Hannah, chanteuse, et son mari Paul, pianiste, sont des artistes et comme beaucoup d’artistes, ils galèrent. « Les Cantiques », leur groupe vocal consacré aux musiques composées pour les synagogues françaises au début du XX° siècle, a des difficultés à se maintenir à flot. Le couple et son fils David, le violoniste du groupe, partage ainsi son temps entre recherches de subventions, répétitions et auditions, réduisant les moments en famille ou entre amis à la portion congrue. L’équilibre déjà fragile est encore mis à mal par les arrivées successives de la jeune Abigail aux velléités modernes et de Samuel, le professeur de chant d’Hannah, dépositaire de la Tradition.

En confrontant modernité et tradition dans le domaine musical, Mobile Etoile ne va pas sans rappeler le propos quasi-identique tenu en son temps par Le Chanteur de Jazz (Alan Crosland, 1927). Jakie Rabinowitz, le fils du cantor, est pris au cœur d’un conflit entre le jazz et la liturgie juive ; musique profane d’un côté et musique sacrée de l’autre. Si Jakie passait de l’une à l’autre (il interrompt sa tournée pour chanter le Kol Nidre à la synagogue avant de la reprendre), Hannah quant à elle semble à première vue accepter de les faire cohabiter ; en chantant ces psaumes en français, la liturgie se fait musique classique. Mais la musique a beau être « désacralisée », il y a des limites à ne pas franchir. Face à Abigail toute entière au plaisir de chanter et de chanter comme elle l’entend, Hannah opposera la coutume et la (bonne) façon de faire dans une démarche de transmission un peu sévère, sûrement héritée de son propre apprentissage de la chanson. Mobile Etoile laisse plus à deviner qu’il ne fait savoir, en maintenant le passé de ses personnages dans l’ombre (l’élève et le maître ont-ils également été amants ?) mais il est rapidement évident qu’Hannah va devoir s’en affranchir pour vivre la musique plus librement. Centré sur ses acteurs dont les improvisations mènent le film et remplacent la mise en scène, Mobile Etoile donne l’impression d’oublier son spectateur. Surtout s’il n’est pas mélomane (que ceux qui disent que la musique est universelle et compréhensible par tous aillent écouter John Cage).
 

 

Mobile Etoile ressemble à ces psalmodies déroulées, enroulées, répétées sur une note unique qui excluent toute idée de début et de fin. En ce sens, ce film en aplats pourrait tout aussi bien durer une heure ou trois ou quatre, interchanger l’ordre de ses plans, que notre perception n’en serait pas pour autant bouleversée. Cela peut s’expliquer par la volonté du réalisateur de saisir un moment dans la vie de ces individus et non pas d’élaborer une histoire en début-milieu-fin ; d’ailleurs, l’aboutissement de la quête d’Hannah est relégué au générique de fin comme si ce semblant d’enjeu n’était qu’un prétexte scénaristique, un os cinématographique jeté au spectateur en manque de récit. Raphaël Nadjari a beau avoir été assimilé à John Cassavetes au sujet de ses autres films, le fait est que tout est hiératique (hormis les séquences consacrées au père de Paul) tant sa caméra a l’air d’être équipée d’une sourdine. Aucun romanesque, aucune envolée, aucun tremblement, comme si tout cela était bien trop attaché au cinéma dit de fiction.

On entre dans ce film comme on en sort, en visiteur. L’histoire avait commencé avant que l’on soit arrivé, elle se poursuivra après notre départ. Comment ? Eux-mêmes ne sauraient pas le dire.

Titre original : Mobile Etoile

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Durée : 119 mn


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