Looking for Eric

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Prix du Jury OEcuménique au dernier Festival de Cannes, le nouveau Ken Loach s´éloigne (seulement en apparence ?) du cinéma social qui a fait sa notoriété pour s´orienter vers la comédie pure. Une semi-réussite pour un film pas désagréable mais plutôt vain.

Révélé par Kes, consacré avec Raining Stones, Land and freedom et plus récemment Le vent se lève, Palme d’Or au Festival de Cannes 2006, Ken Loach s’est depuis 1970 forgé une solide réputation de cinéaste social et politique. Et ainsi hissé au panthéon des réalisateurs britanniques adulés, aussi bien par le public que par la critique. Car pour peu que l’on soit en phase avec ce genre de cinéma (direct et frontal), on va voir un Ken Loach les yeux fermés. Pourquoi Looking for Eric génère-t-il alors une petite déception ? Peut-être parce que son idée (très bonne) de tourner une comédie se trouve sans cesse annihilée par un besoin d’y injecter du drame à intervalles réguliers.

Il tenait pourtant un scénario en or, Ken Loach. Steve, un postier de Manchester au bout du rouleau, épuisé par des années de galère et d’échecs sentimentaux, héberge sous son toit ses trois beau-fils, gère comme il peut leurs petites magouilles et essaye de se réconcilier avec son ex-femme. Pas facile, jusqu’au jour où son idole, Eric Cantona, lui apparaît, grandeur nature personnifiée détachée d’un poster accroché au mur. Ensemble, ils vont reprendre la vie de Steve en main. Sujet d’emblée décalé, d’une part parce que le roi Eric, comme coach psycho, on a connu plus profond ; ensuite parce que le même Cantona n’apparaît qu’en rêve – éveillé mais quand même – à Steve.

Mais que Ken Loach ait décidé d’employer l’ancien footballeur pour son film n’a finalement rien d’étonnant, quand on sait à quel point le phénomène de fan-attitude déployé par le ballon rond peut être prégnant outre-Manche, Cantona en tête. D’ailleurs, les phrases psychologiques assénées par Eric à Steve sont plutôt drôles. « Il faut savoir avancer pour aller plus loin », « Dis non aux choses dont tu n’as pas envie. Dis non ! »… Autant de petites lapalissades qui donnent un humour assez bienvenu, mais ne sauvent quasiment jamais Cantona, qui s’apparente parfois à un cousin français de Jean-Claude van Damme, du ridicule. Un comble. Une scène vient en revanche donner toute la mesure de l’autodérision dont sait faire preuve le footballeur. Quand Steve lui avoue sa tendance à oublier qu’il s’agit d’un homme comme les autres, Cantona répond, le sourcil sévère : « I am not a man. I am Cantona ! », avant d’exploser de rire.

Looking for Eric aurait pu en rester là, dans la peinture d’un petit provincial paumé qui trouve refuge dans ses apartés fictifs à son idole de toujours. C’eût été bien. Au lieu de quoi le cinéaste prend sans cesse des chemins de traverse qui amènent le film vers des lieux plus tragiques, comme s’il n’avait pas pu se résoudre à une franche comédie. Si les scènes à caractère social et dramatique sont pourtant réussies (c’est même là qu’excelle Ken Loach), elles alourdissent le propos du film, qui visait des thèmes, une fois n’est pas coutume, plus légers. Et entraînent le film dans un charivari d’idées qui ne vont pas ensemble, d’où l’impression d’une œuvre qui part un peu dans tous les sens : pas vraiment peinture sociale, un peu thriller, souvent comédie… en tout cas jamais complètement réussie.

Restent les affaires de famille, que Ken Loach filme avec sensibilité, et qui donnent les meilleurs moments d’un film parfois même ennuyeux. Montrer des grands-parents actuels à l’écran (Steve et son ex-femme), la chose n’est pas si fréquente, et Looking for Eric le fait joliment. Si l’on n’arrive pas à se passionner pour le côté policier qui se transforme en vengeance bon enfant (improbable et incohérente), on admire en revanche sa capacité à montrer les retrouvailles, la nostalgie d’époques révolues et les peines d’amour perdues qui peuvent hanter longtemps. Dans ces moments-là, Looking for Eric se fait témoin du temps qui passe et ne se rattrape plus, se métamorphose en une forme de profession de foi en l’humain, douce et salutaire. Pour le reste, le film se regarde sans déplaisir, mais laisse le sentiment qu’on a définitivement connu Ken Loach plus inspiré.

Titre original : Looking for Eric

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Durée : 119 mn


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