Lola

Article écrit par

Succédant à l’éprouvant mais passionnant Kinatay, Lola surprend d’emblée par sa douceur. Le nouveau long métrage de Brillante Mendoza ne sera en effet mû par aucune définition durable de ses enjeux, sinon la progressive identification de quelques personnages comme les maillons d’une chaîne longtemps insaisissable. Celle d’un drame antérieur de quelques jours – quelques heures […]

Succédant à l’éprouvant mais passionnant Kinatay, Lola surprend d’emblée par sa douceur. Le nouveau long métrage de Brillante Mendoza ne sera en effet mû par aucune définition durable de ses enjeux, sinon la progressive identification de quelques personnages comme les maillons d’une chaîne longtemps insaisissable. Celle d’un drame antérieur de quelques jours – quelques heures ? – à l’introduction de Lola Sepa (« Lola » signifie « Grand-mère » en langue Tagalog) lors de l’achat du cercueil de son petit-fils assassiné. A peine est-il offert la possibilité d’identifier le drame de cette vieille dame et sa famille que le film semble divaguer sans prévenir, s’enquérant plus que prévu de l’entreprise de libération de son petit-fils par une autre Lola (Puring, celle-là).

Tout le film, mais surtout tout l’art de Mendoza se situe dans cette habileté narrative en même temps qu’esthétique consistant à faire passer en un clin d’œil une scène du statut de probable déroute à celui d’autre extrémité d’une situation ou une trajectoire introductive. D’aucuns pourraient voir dans ce sens de l’entourloupe muette une certaine malignité, la signature d’un auteur finalement pas si dupe de l’apparent réalisme de ses fictions. Mais reste qu’à chaque fois, cette virtuosité se préserve de toute arrogance en raison notamment du suivi inflexible d’une seule et même ligne de vie et de récit. L’adoption dans John John, la gestion d’un vieux cinéma porno dans Serbis, l’initiation d’un bleu à l’envers de la justice dans Kinatay : une fois entrevu, l’enjeu de chaque histoire de Mendoza préservera jusqu’au bout sa lisibilité.

 

                                                                
La beauté de Lola a alors ceci d’en même temps problématique qu’elle ne peut se déparer entièrement d’une initiation préalable à la méthode de son auteur. Autrement dit, il n’est pas certain, loin de là, que le profane parvienne à adhérer à première vue au processus de dilution des figures et d’enchevêtrement des trajectoires définissant désormais un peu le cinéma de Mendoza. Car si le charme opère sans aucun doute, ne serait-ce qu’à la vision, dès les premières minutes, de ladite Lola Sepa peinant à allumer une bougie sous le vent philippin, rien ne préserve non plus d’une possible résistance à cette esthétique finalement pas si neuve. Le risque du « déjà vu », de l’apparentement blasé de ce seul film à un certain « néo-réalisme » contemporain (regroupant aussi bien Hou Hsiao hsien qu’Abdellatif Kechiche), dont la grâce et les innombrables sommets n’interdisent pas non plus une certaine vigilance, une défiance quant à leur ambition de faire œuvre du « réel » demeure.

Lola est un film à prendre ou à laisser, en fonction de sa prédisposition ou sa résistance à un principe esthétique assez immuable. L’envoûtement y est aussi envisageable que la distraction, l’indifférence autant d’actualité que l’empathie. D’autant que se devine assez vite l’issue d’un fil narratif assez ténu. À l’inverse de Kinatay, le nouveau Mendoza ne s’appuiera sur aucune tension dramatique telle que la confrontation d’un individu symbolique d’une certaine pureté à l’ambiguïté et au cynisme refoulé par l’Etat qu’il s’est engagé à servir.

 

                                                          
Le croisement de deux points de vue, celui d’une intégrité partiellement affiliée à des idéaux de jeunesse (souvenons-nous que le jeune homme se marie en tout début de film), celui de représentants des forces de l’ordre qui seraient également les dépositaires du mal conférait à la deuxième partie du film une dynamique, une dimension dialectique ouvrant la perspective permanente d’une opposition. Là où Lola se veut surtout la chronique d’un dépassement progressif du drame originel, prometteur, sinon d’une réconciliation des partis mis en présence (la famille du bourreau, celle de la victime), dans tous les cas d’une reconnaissance (les deux Lola sont au fond dans la même galère, leur place aurait même pu être inversée en d’autres circonstances).

C’est peut-être à l’aune de cette relativisation de la douleur en fonction du contexte social et politique réunissant les personnages que doit se lire maintenant le cinéma de Brillante Mendoza, aussi bien ce dernier film que ses prédécesseurs, aussi bien ses prédécesseurs que ses successeurs. Ne ressortirait que la dimension de renoncement, de résignation des faibles devant l’inexorable de leurs tragédies, celui-ci serait vite insupportable, prometteur de rien moins qu’une litanie de petites fictions de la digne souffrance du prolétariat philippin. Là où au constat s’adjoint désormais l’esquisse d’une fraternité des victimes d’un même système, prometteuse, qui sait, d’un enchantement prochain.


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/clients/8d2910ac8ccd8e6491ad25bb01acf6d0/web/wp-content/themes/Extra-child/single-post.php on line 73

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…