Le Prestige de la mort

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Le prestige de la mort de Luc Moullet est avant tout une diatribe acidement comique ou comiquement acide sur le cinéma. C´est au choix. Les efforts que déploie le personnage Luc Moullet, interprété par le réalisateur lui-même, pour financer son film irrigue le film d´une vision sarcastique et déprimée du monde du cinéma actuel, le […]

Le prestige de la mort de Luc Moullet est avant tout une diatribe acidement comique ou comiquement acide sur le cinéma. C´est au choix. Les efforts que déploie le personnage Luc Moullet, interprété par le réalisateur lui-même, pour financer son film irrigue le film d´une vision sarcastique et déprimée du monde du cinéma actuel, le cinéaste contraint par exemple de travailler avec un producteur qui ne tient pas sa parole.

Il s´agit d´une vision désenchantée du microcosme cinématographique. La pauvreté du répondant des acteurs de la production du film montrés par Moullet radicalise le propos du film. Ce rescapé de la Nouvelle Vague demeure nostalgique de ce soi disant âge d´or du cinéma français pour imprégner les mises en abyme du film d´un passéisme un peu naïf et un brin réactionnaire. La société a changé, le cinéma aussi. C´est ce que les anciennes gloires du cinéma français n´ont malheureusement pas compris. Et c´est cette dichotomie entre le passé et le présent du cinéma qui confère au film son burlesque libertaire. L´adaptation de l´oeuvre Remèdes Désespérés prend alors une vertu comique. Il devient aussi un cri, une plainte face aux conditions et aux situations qui poussent Moullet à arpenter un chemin pour le moins alambiqué afin de parvenir à ses fins. Cependant, comme tout film burlesque, le comique de situation et de répétition s´essouffle mais le réalisateur parisien a la clairvoyance de faire un assez court long métrage.

Le comique du film s´éprouve par l´infantilisme du personnage. Luc Moullet, personnage principal du film peut tout d´un coup rompre l´équilibre du montage et du rythme pour filmer une de ses grimaces en gros plan comme au début du film. Son immaturité s´exprime par la présence du double. Luc Moullet usurpe l´identité d´un politicien Duport-Anxionnaz mort dans les montagnes. Il échange avec lui ses vêtements et son identité afin que sa mort soit couverte par les médias. L´élan de reconnaissance médiatique lui permettra, selon lui, de vendre trente de ces trente-trois films à Arte. Cette question du double permet à Moullet de pratiquer une introspection ontologique et cinématographique sur lui-même puisque c´est son passé qu´il souhaite voir ressusciter.

On ressent, dans ce film, qu´il est un auteur à l´étroit, étouffant dans un monde qu´il ne comprend plus. Par l´intermédiaire de Moullet et la personnification qu´il met en scène, le réalisateur montre que la notion d´auteur pèse sur ses épaules et souligne comment cette notion est galvaudée pour devenir un fardeau pour les anciens disciples et maître de la Nouvelle Vague. Moullet n´hésite pas à faire mourir Godard dans son film pour densifier sa critique et montrer comment le cinéma actuel poursuit le génocide de ses anciennes gloires tombées dans l´oubli.

Le second sens de cette personnification tendrait à montrer qu´il est difficile pour des réalisateurs sur lesquels les lumières des projecteurs ne se fixent plus de boucler le budget d´un de leur film. La starisation du système, le public que les stars drainent est pour les financiers la seule donnée importante. Evidemment, quand un auteur fait preuve d´audace, qu´il revendique son iconoclastie, il passe à la trappe. C´est exactement le nerf du film.

Il a été question de médiatisation. Voici le second coup de gueule que pousse Moullet. Le propos du film permet de montrer que le cinéma et les personnes qui en vivent dépendent de la télé pour que la machine tourne. Le jeu des acteurs, désincarnés, d´une neutralité mortifère (comme put l´expérimenter Bresson puis Jean Marie Straub et Danièle Huillet dans En rachachant par exemple) nimbe le film d´une chape de plomb. Tout paraît aseptisé, sans âme. Par la neutralité du jeu des acteurs, il semblerait que Moullet désintègre, annihile son cinéma comme la télé désintègre le septième art.

L´uniformité de la direction d´acteurs serait une volonté de métaphoriser la phagocytose artistique que fait subir la télévision au cinéma avec cette lutte d´influence incessante à la production entre une volonté artistique faible et rentable et la volonté pointue et audacieuse d´un réalisateur qui a du talent. Seul le sensationnel fait vendre, c´est pourquoi la mort d´un artiste connu, et sa médiatisation soudaine sont utilisées par Moullet. Il exprime cette même quintessence idéologique lorsqu´il se rend chez un opticien joué par Bernard Eisenschitz.

Moullet attend pour s´acheter des lunettes neuves à verre neutre. Le panneau publicitaire qui est présent à côté de lui, chez l´opticien, englobe des marques de vêtements comme Diesel ou le film Harry Potter… La marque, l´abondance d´argent, le glamour (avec les journaux people présents dans le film) ou le clinquant deviennent la pré-fabrique du cinéma que la télé lui fait avaler car elle domine de la tête et des épaules quand il s´agit d´entrer dans le budget d´un film. Les concessions interviennent toujours du même côté, au point d´en perdre son identité. Le cinéma actuel est comme apocryphe de son ancienne santé, de son lointain âge d´or.

Le prestige de la mort, au titre évocateur, est une farce qui ridiculise tout ce qu´elle touche, même le cinéma. Les cadrages du film laissent parfois à désirer. Cette instabilité traduisant certainement, dans l´esprit du réalisateur, un état pathologique du cinéma. Il est d´ailleurs symptomatique que le générique de fin soit montré dans l´écran d´une télévision.

Le dernier film de Moullet est à la fois burlesque et riche en informations sur le statut des artistes. Il serait ce << documentaire-burlesque >> dans lequel le processus de création est entrain de se développer sous nos yeux. Le film serait alors à mi-chemin entre Nick´s movie de Wim Wenders et Looking for Richard de Al Pacino. Le film visite les entrailles du cinéma et permet d´en tirer un bilan peu flatteur et même très pessimiste. Le prestige de la mort pose véhémentement la question de la pérennité du cinéma comme art à part entière et autonome. Luc Moullet, en quelque sorte, règle ses comptes…

Titre original : Le Prestige de la mort

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Durée : 75 mn


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