Le Mur invisible

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À trop fréquenter les bêtes, on devient misanthrope.

En décidant d’adapter à l’écran le roman de Marlen Haushofer, Le Mur invisible (Die Wand, 1963), Julian Roman Pölsler tenait un scénario en or, digne d’un blockbuster d’anticipation post-apocalyptique : partie en vacances en pleine forêt autrichienne, une femme se retrouve coupée du monde par un mur invisible. Suspendu pendant la nuit, le temps a aspiré tout souffle humain, laissant à l’héroïne épargnée les reliefs d’une vie pétrifiée. Dorénavant soumise au seul cycle implacable des saisons, elle devra vivre en autarcie. Très vite le paranormal cède à l’ « ultranormal », à savoir les balades avec le chien, la culture des patates, les cajoleries à la vache, la chatte qui met bas, la chasse et le silence. Peu à peu, la nature fait ravaler son orgueil à l’humaine, paradoxalement chanceuse au regard du sort réservé au lointain voisinage.

Pour mettre en valeur ce Walden ou la Vie dans les bois (Henry David Thoreau, 1854) punitif, J. R. Pölsler comprend toutefois un peu tard le potentiel romantique du paysage qui commence véritablement à s’animer au premier orage, sans pour autant atteindre le paroxysme de terreur sublime que ces montagnes peuvent inspirer. Probablement effrayé, le réalisateur a d’ailleurs compensé un mutisme envahissant par une voix off omniprésente vouée à nous soulager, à tort, du poids des heures. Drôle de faiblesse en effet, de la part de Pölsler, d’avoir voulu nous faciliter la survie de sa protagoniste écrasée par le déterminisme, alors que toute la puissance de l’histoire résidait dans l’expérience sensorielle extrême qu’elle proposait : se mettre dans la peau du premier animal venu.
 
 

 
 
Qui n’a jamais vu un chat s’arrêter aux limites de son territoire comme devant un mur invisible, incapable de le franchir ? Forcée de constater la sage résignation de son chien toujours allègre devant le phénomène, l’héroïne va devoir prendre exemple sur lui. Curieusement, l’idée qui, lancée à la volée au cours d’un dîner mondain, ferait plutôt rigoler – et éventuellement songer à Didier (Alain Chabat, 1997) -, perd ici tout sa portée comique. Sur ce point audacieux, le film exploite pertinemment la symbiose de cette femme avec ses animaux, au point qu’on y adhère totalement, même si on reste épouvanté par sa solitude. Une vache ne vaudra jamais un homme, n’est-ce pas ? Et lorsque, donnant à manger à une corneille blanche snobée par ses congénères, notre humaine espère secrètement qu’un jour, l’oiseau esseulé en trouvera un comme lui dans la forêt, nous nous surprenons évidemment à rêver que l’héroïne aussi mérite de trouver un homme comme elle dans les bois. Au cours d’un renversement aussi éthiquement déstabilisant que la conclusion vengeresse de Boulevard de la mort (Quentin Tarantino, 2007), quel n’est pas notre étonnement quand, après deux ans de vie sauvage, cet homme arrive enfin, et qu’avec notre assentiment le plus total… elle tue ce monstre ?

Titre original : Die Wand

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Durée : 108 mn


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