La cravate

Article écrit par

Pendant les dernières élections présidentielles, les réalisateurs ont suivi un militant du FN.

Entre récit et documentaire

Réalisateurs d’un certain nombre de documentaires, notamment La Sociologue et l’ourson qui avait marqué les esprits, Mathias Théry et Etienne Chaillou se sont servis pour ce dernier film de leurs tournages à l’Assemblée Nationale dans laquelle ils ont rencontré maints jeunes gens costumés qui parlaient déjà comme des vieux routiers de la politique. L’idée de les suivre est venue de là et, comme la montée des partis nationalistes les préoccupe beaucoup, ils se sont mis en relation avec la hiérarchie du FN qui leur a donné des noms de jeunes militants. Ils ont rencontré Bastien qui leur a paru apte à avoir des aptitudes à grimper les échelons du parti. « Bastien, déclarent les réalisateurs dans le dossier de presse du film, nous l’avons trouvé d’aspect un peu caricatural, en blouson de cuir et cheveux ras, et complètement fasciné par Marine Le Pen, dont il avait même un portrait affiché au-dessus de son lit. » D’abord prévu pour la télévision, la rencontre avec Bastien fut d’abord enregistrée et les réalisateurs en tirèrent un texte parce qu’ils ont senti tout de suite que le militant accepterait de se confier. C’est ce texte qu’il commente en fait dans le film, et cela donne une ambiance de work in progress qui est fort intéressante.

L’enfance d’un chef

Cette forme romancée donne au film un sens supplémentaire qui mélange à la fois le direct des commentaires de Bastien et ses diverses actions au sein du parti, la voix-off du commentaire lu par Etienne Chaillou et le texte écrit qui apparaît souvent à l’image, griffonné, corrigé comme un roman du style L’enfance d’un chef en train de s’écrire.

Pourtant on dirait que ce travail ne parvient pas à ses fins. On ne sait pas trop quelle est l’intentionnalité des réalisateurs car il s’avère, peu à peu, que Bastien est assez sympathique, même s’il pratique un genre de coming out en avouant qu’il a eu un passé de militant violent, et puis qu’il s’est acheté une conduite plus soft pour coller à la nouvelle image de son parti. Il faut dire que son engagement corps et bien pour le parti de Marine Le Pen l’a coupé de sa famille à qui il n’a jamais rien voulu avouer, et de sa petite amie qui trouve qu’elle le néglige. Il est vrai que Bastien va peu à peu prendre du galon, devenir l’ami d’un futur jeune député, un peu à la manière de l’ineffable Benalla dans le camp adverse. Puisque le film a été tourné pendant la campagne présidentielle de 2017, il ira même jusqu’à côtoyer le bras droit de Marine Le Pen,, Florian Philippot, pour lequel il quittera ses t-shirts pour un costard cravate, d’où le titre du film.

 

Porter la cravate comme signe de pouvoir

Ce qui est très révélateur des moeurs de la politique, c’est de remarquer combien les gens peuvent être naïfs et dupes en n’imaginant même pas une seule seconde que leur parti, qui se prétend proche du peuple et honnête, n’est finalement qu’une lourde machine à promouvoir certains et à en écraser d’autres. Ce sera bien sûr le lot de Bastien, trop prolo pour devenir député, les cadres lui préférant le jeune homme propre sur lui et de bonne famille, comme quoi le peuple a très peu d’importance pour cette machine de guerre, et il en va de même pour tous les partis. Un film intelligent et fin, mais qui a de quoi vous dégoûter, pas seulement du RN, mais de la politique spectacle en général avec ses meetings à l’américaine, ses chauffeurs de salle, ses promesses en l’air et toute la mise en scène de l’apparition de l’idole qui ressemble hélas à un show télé de bas étage. A la fin du film, la voix off se croit obligée de prendre ses distances avec le populisme, sans doute par peur d’avoir trop dédiabolisé le FN et rendu le militant de base, Bastien, trop sympathique en fait.

Réalisateur : ,

Année :

Genre :

Pays :

Durée : 97 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Dersou Ouzala

Dersou Ouzala

Oeuvre de transition encensée pour son humanisme, « Dersou Ouzala » a pourtant dénoté d’une espèce d’aura négative eu égard à son mysticisme contemplatif amorçant un tournant de maturité vieillissante chez Kurosawa. Face aux nouveaux défis et enjeux écologiques planétaires, on peut désormais revoir cette ode panthéiste sous un jour nouveau.

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Les soeurs Munakata & Une femme dans le vent.Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dans l’immédiat après-guerre, Yasujiro Ozu focalisa l’œilleton de sa caméra sur la chronique simple et désarmante des vicissitudes familiales en leur insufflant cependant un tour mélodramatique inattendu de sa part. Sans aller jusqu’à renier ces films mineurs dans sa production, le sensei amorça ce tournant transitoire non sans une certaine frustration. Découvertes…

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Dernier caprice. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Le pénultième film d’Ozu pourrait bien être son testament cinématographique. Sa tonalité tragi-comique et ses couleurs d’un rouge mordoré anticipent la saison automnale à travers la fin de vie crépusculaire d’un patriarche et d’un pater familias, dans le même temps, selon le cycle d’une existence ramenée au pathos des choses les plus insignifiantes. En version restaurée par le distributeur Carlotta.

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Il était un père. Sortie Blu-ray chez Carlotta, le 19 mars (OZU, 6 films rares ou inédits).

Difficile de passer sous silence une œuvre aussi importante que « Il était un père » dans la filmographie d’Ozu malgré le didactisme de la forme. Tiraillé entre la rhétorique propagandiste de la hiérarchie militaire japonaise, la censure de l’armée d’occupation militaire du général Mac Arthur qui lui sont imposées par l’effort de guerre, Ozu réintroduit le fil rouge de la parentalité abordé dans « Un fils unique » (1936) avec le scepticisme foncier qui le caractérise.