La Bête dans le coeur (La Bestia nel cuore)

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La Bête dans le cœur (celle qui empêche d’aimer) est un joli titre qui résume métaphoriquement l’enjeu dramatique de ce film italien estimable où une femme, agressée dans ses douces nuits par des réminiscences obscures, voit son passé douloureux remonter à la surface. Son conjoint ne comprend pas, nous non plus. Jusqu’à ce que la […]

La Bête dans le cœur (celle qui empêche d’aimer) est un joli titre qui résume métaphoriquement l’enjeu dramatique de ce film italien estimable où une femme, agressée dans ses douces nuits par des réminiscences obscures, voit son passé douloureux remonter à la surface. Son conjoint ne comprend pas, nous non plus. Jusqu’à ce que la vérité sorte de la bouche d’enfants désormais adultes, toujours traumatisés.

Récemment, on confirmait le retour d’une nouvelle vague allemande avec les sorties contiguës du stimulant Ping Pong, de Matthias Luthardt et, surtout, le remarquable La Vie des autres, de Florian Henckel Von Donnersmarck. Poursuivons les dithyrambes pour célébrer cette fois un cinéma transalpin qui n’en finit plus de surprendre après quelques opus majeurs fomentés par des cinéastes chevronnés (Marco Bellocchio, Gabriele Salvatores, Michele Soavi…) ayant réussi à s’affranchir des contingences télévisuelles. En attendant L’Ami de la famille, de Paolo Sorrentino, farce perverse et égrillarde mâtinée de techno et de cynisme, focalisons-nous sur une première surprise italienne : La Bête dans le cœur, de Christina Comencini, réalisatrice de deux premiers longs métrages méconnus dans l’Hexagone (Matrimoni et Libérez les poissons), qui sonde les tourments d’une femme enceinte taraudée par des souvenirs délétères, liés à sa propre enfance, dont elle ne comprend guère la signification.

A l’origine écrivaine, Comencini a adapté son propre roman pour mieux disséquer les ramifications d’une histoire complexe où une femme se cherche à travers ses sens, sa vie, son rapport à l’autre. Objectif binaire de l’artiste : révéler ce qui se trame sous les apparences et traquer cette bête noire nichée dans le cœur des malheureux discrets. Sans chercher à distiller un quelconque suspense ni même tomber dans les travers de la critique bourgeoise sous-pasolinienne (encore merci), la réalisatrice dévoile le contre-champ d’une existence faussement tranquille, celui d’une femme a priori accordée avec le monde, partagée entre le petit ami aimant et ses rares amies (une aveugle lesbienne esseulée avec laquelle on partage brièvement des éclairs de désir, une femme cocufiée qui veut compenser son désarroi affectif par n’importe quel moyen). En creux, elle capte ce fichu mal-être qui travaille au corps et à la raison.

Refusant les tentations mélodramatiques, Comencini mise avant tout sur le pouvoir d’une atmosphère qui oscille indistinctement entre le réel et le fantasme, le pragmatisme et le cauchemar et scrute des zones d’ombre étranges en donnant une grande importance aux non-dits. Par peur d’œuvrer dans un registre trop elliptique, elle sacrifie à quelques reprises l’élégance de sa narration sur l’autel de la démonstration. La faiblesse du récit réside plus précisément dans la caractérisation un rien stéréotypée des personnages secondaires : ils apportent une dimension loufoque totalement bienvenue pour aérer la claustrophobie du drame familial en même temps qu’ils génèrent des sous-intrigues assez superflues qui ralentissent le récit au lieu de le faire progresser. On a presque l’impression que Comencini semble prisonnière des caractères auxquels elle accorde trop d’importance et à travers lesquels elle parle un peu d’elle-même.

Construit comme l’identification d’une femme, La Bête dans le cœur, puzzle identitaire, est un film sur le désir féminin. Exclusivement réservé aux femmes ? Heureusement, non, même si le regard sur la gente masculine se révèle sans concession. Qu’il s’agisse d’un jeune homme déconnecté de sa « chérie » ou d’un vieux mari en proie au démon de midi qui a abandonné sa femme pour filer le parfait amour avec une demoiselle plus jeune, les hommes de La bête dans le cœur, hypocrites, pleutres ou largués, paraissent incapables de saisir les subtilités féminines. Ne pas en conclure une œuvre proféministe et vocifératrice qui pointe du doigt les agissements mâles et peu adroits. Toujours à deux doigts de tomber dans la parodie de soap-opéra, la cinéaste furète ailleurs et propose des lignes de fuite infiniment plus stimulantes où l’humour et l’absurde désamorcent non sans lourdeur l’esprit de sérieux. De bonne humeur, on peut savourer le charme léger de ce film inégal mais attachant, décousu mais fréquentable, qui touche au cœur seulement par intermittences.

Titre original : La Bestia nel cuore

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Durée : 120 mn


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