Howl

Article écrit par

Curieux mélange de fiction et docu autour du célèbre poème de Ginsberg, « Howl » brasse large, touche peu.

Présenté début 2010 aux Festivals de Berlin et Sundance, Howl bénéficie enfin d’une sortie sur les écrans français, grâce à la petite société de production et distribution Mica Films. Avec Gus van Sant à la production et deux documentaristes plutôt reconnus dans le milieu du cinéma indépendant américain à la réalisation, on attendait un peu impatiemment le film de Rob Epstein et Jeffrey Friedman. Malheureusement, Howl est audacieux mais bancal, novateur dans sa forme mais faible sur le fond. Ceux qui pensaient en apprendre un peu plus sur la beat generation en seront pour leurs frais ; les fans de Ginsberg qui se réjouissaient d’un portrait de l’homme regretteront le didactisme de l’ensemble.

Howl est volontairement divisé en quatre fils parallèles et concomitants : la lecture du célèbre poème par Ginsberg dans un bar underground new-yorkais au moment de sa parution, une interview reconstituée du poète, le procès intenté au texte pour obscénité (reconstitution et images d’archives), et des images d’animation censées illustrer l’oeuvre. On le sait, Bright Star l’a encore prouvé récemment, parler de poésie au cinéma n’est pas chose aisée. Howl, dans un premier temps, s’en sort plutôt bien en éclatant le récit, offrant quatre grilles de lecture qui empêchent le film de sombrer dans une posture statique. Epstein et Friedman, rompus à l’exercice documentaire, particulièrement sur les thèmes de l’homosexualité (on leur doit notamment The celluloid closet et The times of Harvey Milk), apportent une vision pas dénuée d’intérêt d’un ouvrage qui fit scandale en montrant assez finement la souffrance qui peut découler de l’acte de création.

C’est pourtant précisément dans ce mélange des genres, et en voulant faire de Howl un objet purement fictionnel en même temps qu’un document militant, que les deux cinéastes perdent de leur force de frappe. Il y a, à la vision de Howl, la désagréable impression que le film n’est jamais tout à fait là où il devrait être. L’idée de centrer le regard sur le poète et non pas sur l’homme était judicieuse : sauf que ce n’est pas la lecture de Howl qui accroche, mais bien l’entretien sous forme de confessions avec un Ginsberg trop en avance sur son temps. C’est son rapport à Kerouac, la manière dont il il fit exploser le conformisme et le langage, que l’on voudrait voir explorés davantage. Quant aux scènes de procès, elles se suivent sans peine mais semblent fabriquées, destinées à faire des performances de Jon Hamm et Mary Louise Parker un simple plaisir d’acteur plus qu’à évoquer un carcan de la pensée de l’époque. Les plans d’animation, quant à eux, sont trop littéralement accrochés au texte pour faire advenir la magie.

Reste James Franco, décidément très à l’aise en hipster des années 50 et convaincant en poète vilipendé. Disons-le, c’est pour lui qu’on regarde Howl sans ennui : pour le voir minauder, charmer son interlocuteur, aligner les bons mots et manier le sens de la formule. Grâce à lui, le film dessine parfois Allan Ginsberg tel qu’il était : grand rhétoricien, poète qui n’aimait rien tant qu’être maudit et trimballait l’élégant snobisme des incompris.

 

Titre original : Howl

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 84 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…