L’outrance naturelle des personnages, la scène qui est déjà celle de la vie s’articule alors en toute transparence aux enjeux du projet de représentation d’un épisode de la vie de Schubert, idole d’Akerblom. Cette frontalité de l’art, cette mise à disposition de la fiction dans le cadre même du récit, si elle finit par emporter le morceau dans le film même, gagne néanmoins particulièrement au visionnage du Making of, présentant Bergman, auteur d’un cinéma et d’une télévision de la hantise, de la douleur psychologique, en formidable vieillard malicieux, dirigeant ses acteurs au plus près. Mis en scène avec fluidité, ce document (le « négatif ») déjoue aisément les risques de culte emphatique du tournage ayant parfois tendance à discréditer le genre. Observer la préparation d’une scène par un Ingmar Bergman à la fois très directif, plus que sûr de ses attentes (Peter Stormare, qui venait de tourner pour Spielberg à l’époque, osera une comparaison inattendue) et ouvert aux divers aléas du tournage confère ainsi à En présence du clown un contrechamp évidemment complémentaire, mais surtout stimulant de bout en bout.
La réunion de ces deux films valant à la fois pour eux-mêmes et en regard l’un de l’autre est ainsi, quatre ans déjà après la disparition du cinéaste, la précieuse occasion de lui conférer une nouvelle actualité, soumettre l’une de ses ultimes réalisations à une évaluation à la fois libre et forcément vouée à une contextualisation en regard de l’œuvre entière. Mais c’est surtout cette étrange joie à voir le travail de mise en scène rester pour le cinéaste une occasion de partage, de transmission de son enthousiasme qui enivre. L’un des sommets de cette entrée dans les coulisses étant sa proposition à Stormare de prendre sa place, le temps du tournage d’un plan du film où lui-même apparaît, symbolique à la fois d’une évidente confiance dans son équipe et d’un amusement enfantin quant à une possible réversibilité des fonctions. Revoir ce plan, cette séquence après pareille transparence de sa méthode ne manque alors pas de faire son effet.
En présence d’un clown, le film, est entre autres choses l’histoire d’une hantise, celle d’un homme mûr se voyant guetté par une Mort ayant les traits d’un clown blanc féminin, à la fois bouffonne et inquiétante, matérielle (le fantastique tient certes une place dans le film, mais à égalité avec le rationnel, comme chez Weerasethakul) et labile. Le making of est de son côté la chronique burlesque d’un art vivant, un cinéma (une télévision) s’offrant en stimulant work in progress, mené à la baguette et de main de maître par un lutin farceur dont le rire résonne encore.
DVD édité chez Capricci
