Doc et Doc au Forum des Images : << Je demeure là. >>

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C´est l´Apocalypse partout, ce mardi 12 juin au Forum des Images.

« Cette ville a un goût mort de mort »… alors pourquoi Franssou Prenant a-t-elle souhaité partir à Conakry ? Du motif, elle ne s’en souvient même plus. Il s’est noyé, flou et volatile, dans les rues moites de sueurs et saoules de pluie de la capitale guinéenne.
 
 

L’Escale de Guinée, Franssou Prenant, 1987

Le Chaos sous son crâne…

Seulement, elle a toujours rêvé être étrangère, « avoir un accent et être portée sur un nuage d’inconnus. » Elle soupçonnait le délabrement mais s’imaginait, secrètement, des cieux plus cléments, des ruines douces et mélancoliques, disposées ça et là par un Hubert Robert (1) contemporain… des ruines séculaires d’occidentaux nostalgiques, des ruines bienveillantes et sereines, pas ces débris bon marchés, essoufflés, accablés de fatalisme. Comme un assoiffé pénètre en un mirage, Franssou Prenant a posé le pied à Conakry, fiévreuse et entêté. Elle qui espérait se sentir mieux, c’était raté. C’est qu’en s’éloignant de Paris, elle pensait sûrement rompre avec tous ses soucis. Car il s’agit bien d’elle, et non de Conakry. Et ses ennuis l’ont suivie… Couché sur la pellicule comme sur un divan de psychanalyste, son monologue ne rencontre aucun barrage, hormis parfois, quelques silences.

« Aucun voyage n’est mentionné dans mon horoscope, peut-être que ça veut dire que je ne fais que me déplacer, que je ne voyage pas vraiment et que je reste toujours et seulement au fond de moi-même à sucer un crayon en attendant un miracle. »
 
 

L’Ange de Doel, Tom Fassaert, 2011

Justement, à Doel, quand elle avait seize ans, Emilienne a vu un ange. Depuis, elle refuse de quitter son village flamand, que le gouvernement Belge a pourtant décidé de raser afin d’élargir le port d’Anvers vers la centrale nucléaire.

Le Chaos dans sa rue…

Chaque jour, les amis avec qui prendre le thé se font plus rares pour le curé, toujours inquiet, comme s’il redoutait quelques funestes nouvelles. Comme si Doel appartenait déjà au passé, Tom Fassaert a tourné son documentaire en noir et blanc, ses séquences de nuits évoquant parfois les ténèbres fantomatiques et surréalistes d’un Brassaï (2). Alors que les pelleteuses défont les couloirs des maisons, qu’une petite porte vole entre les mâchoires d’un bulldozer, Emilienne fait front, la larme à l’œil : cette porte, c’était celle de Caroline… Quitte à prendre le bus toute seule, Emilienne a choisi d’attendre les huissiers de pied ferme. Même les chats ont décampé. Même ses vieilles copines n’arrivent plus à lui faire entendre raison : pourquoi s’accroche-t-elle au sol de cette ville ? Peut-être y est-elle tout simplement liée, pour le meilleur et pour le pire, depuis que son mari y repose en paix… À Doel, quand elle avait soixante-quinze ans, Emilienne est tombée amoureuse d’un spectre. Depuis, elle refuse de faire son deuil.
 
 

L’Ange de Doel, Tom Fassaert, 2011

Rendez-vous au Forum des Images pour cette nouvelle programmation Doc & Doc, concoctée, comme chaque mois, par l’association Documentaire sur grand écran.

Séance de 19h : L’Escale de Guinée, Franssou Prenant, 1987.
Suivie d’une rencontre avec la réalisatrice.

Séance de 20h45 : L’Ange de Doel, Tom Fassaert, 2011.
Suivie d’une rencontre avec le réalisateur.

(1) 1733-1808, peintre de paysages réputé pour ses jolies ruines mélancoliques.
(2) Gyula Halász, 1899-1984, photographe surréaliste connu pour ses mystérieuses nocturnes parisiennes.


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