Coffret Benoît Delépine-Gustave Kervern

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Une oeuvre, les quatre longs métrages de Benoît Delépine et Gustave Kervern ? Des cinéastes à part entière, les deux rigolos de Groland ? C’est en tout cas l’hypothèse que propose de vérifier cette édition chez Ad Vitam de l’intégrale ciné du duo.

Soit Aaltra (2004), Avida (2006), Louise-Michel (2008) et Mammuth (2010). Quatre films qui, au jeu de la comparaison, brillent par leurs divergences assez évidentes, leur peu négligeable dissemblance. Au noir et blanc et cadrages soignés des deux premiers succède l’aspect foutraque du troisième, plus proche dans l’esthétique et l’esprit de leurs sketchs de Groland ; troisième qui lui-même ne laisse pas augurer le quasi naturalisme tranquille du dernier. Difficile en ce sens de définir le cinéma du duo Delépine-Kervern à la lumière d’une constante qu’ils semblent avoir très tôt décidé de fuir. Ce qui ne signifie pas non plus que chaque film se veuille l’antithèse du précédent.

Aaltra, qui lors de sa sortie en 2004 surprit par son apaisement, le soin inattendu apporté à l’écriture de l’étrange histoire d’un duo de tétraplégiques – joués par les cinéastes eux-mêmes – parcourant l’Europe, destination Finlande, pour demander des comptes aux fabricants de la remorque responsable de leur handicap, si sa beauté contemplative, son burlesque mou restent intactes, s’offre surtout parmi les autres comme leur film le plus subtil. A l’installation quasi réaliste d’un road movie à hauteur de fauteuils roulants s’associe tout du long l’insidieux portrait d’une époque où les frontières entre solidarité et égoïsme sont très floues, plus que poreuses (il faut aussi dire que les deux lascars sont loin d’être des gentils, le film restant par miracle préservé de tout manichéisme).

Davantage porté déjà par une aspiration au surréalisme franc du collier, Avida préservera par la suite une certaine tenue que Louise-Michel, film kamikaze, prendra soin d’envoyer valser sans excuse. Suivant les pérégrinations d’une ouvrière victime de la délocalisation surprise de l’usine de textiles qui l’employait et du tueur à gage qu’elle et ses ex collègues ont engagé pour retrouver et buter le patron, le film n’a peur de rien et surtout pas de la plus franche vulgarité. Fascine ici, à partir d’un thème finalement pas si éloigné de celui d’Aaltra (les victimes du désordre mondial fomentent une vengeance avec les moyens du bord, et, pour la mettre en œuvre, n’hésitent pas à parcourir les kilomètres nécessaires), l’émergence progressive d’une faune tout droit sortie de l’univers de Groland, le dessin d’une Picardie et une Belgique épargnées de toute velléité documentaire. C’est cette autonomie quant au réel qui, en partie, rachète par intermittence un film d’une laideur générale tout de même problématique.

Là où Mammuth, grâce notamment à la présence d’un Gérard Depardieu léger comme rarement (celui des Valseuses et de Préparez vos mouchoirs de Blier, mais trente cinq ans après, et le bide en plus), rétablit, dans le portrait d’un jeune retraité contraint, pour toucher ses droits, de reparcourir son histoire professionnelle et affective au propre (traversée en moto) comme au figuré (réminiscence d’un amour perdu, incarné par une Isabelle Adjani très émouvante), redonne à ce cinéma une respiration plutôt bénéfique. Le paysage, la faune restent les mêmes, mais quelque chose cette fois semble s’être affiné, le sous-texte politique et social, bien que toujours corrosif, s’offre de manière plus nuancée et parcellaire. Surtout, les retrouvailles entre Serge Pilardosse (Depardieu, donc) et sa femme Catherine (Yolande Moreau, enfin filmée comme une « vraie » femme) sont peut-être la scène la plus délicate filmée à ce jour par le duo.

Nulle certitude, au final, d’avoir encore su déceler l’hypothétique fil conducteur d’une œuvre en devenir (Le Grand Soir, le cinquième long métrage, est déjà prévu pour l’année prochaine). Mais il faut d’ores et déjà reconnaître à chaque film, pris pour lui-même, avec ses qualités et ses défauts, les preuves plus ou moins indiscutables d’un désir de cinéma largement digne d’attention.

Bonus

Outre les longs, ce coffret est l’occasion de (re)découvrir leurs courts métrages (A l’arrachée, très cruel) et séries télé oubliées (Don Quichotte, Toc toc toc, où l’on assiste médusé à des caméos de Maurice Pialat ou José Bové…), mais aussi les scènes coupées de chaque film. Le meilleur : Making fuck-off, excellent making-off de Mammuth signé du documentariste Fred Poulet.

Edité chez Ad Vitam

 


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