Carmina !

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« Carmina ! » dresse le portrait attachant d´un personnage hors-normes qui n´est autre que la propre mère du réalisateur.

Chez Paco Leon, tout est histoire de famille. C’est avec Carmina o Revienta (2012), long métrage inspiré et interprété par Carmina, sa mère et Maria, sa sœur, qu’il fait ses débuts comme réalisateur. Des débuts remarqués puisqu’ils lui valent une nomination aux Goyas dans la catégorie "Meilleur Nouveau Réalisateur". Carmina ! est son deuxième film et, concernant ce personnage, tout est effectivement dans le point d’exclamation.

Antonio se plaint auprès de sa femme de ne pas se sentir très bien. Sur ses conseils, il va se reposer un peu dans le fauteuil du salon ; il ne s’en relèvera jamais. Passé le choc de la découverte, Carmina s’agace : cet Antonio, même pas foutu de patienter deux petits jours pour toucher le versement de sa pension de retraite avant de décéder. Cet argent elle en a besoin alors, avec la complicité de leur fille Maria, elle décide d’attendre pour déclarer la mort de son mari. Tout un week-end à endurer et à gérer à la fois le cadavre d’Antonio et le défilé des voisin(e)s, ami(e)s et membres de la famille dans l’appartement.

 

Blouse panthère ou veste zébrée, cheveux blonds décolorés avec racines apparentes, ongles rouges et cigarette au bout des doigts, Carmina a tout l’attirail de la vulgarité qui fascine en même temps qu’elle intimide. Matriarche à la voix de nicotine, elle a quelque chose de l’ogresse dans ses redoutables colères qui la font craindre dans l’immeuble et sa passion dévorante pour sa famille et ceux qu’elle aime ; si ce n’était sa féroce tendresse Carmina pourrait être la sœur espagnole de Janine, la chef de meute d’Animal Kingdom (2010). Elle partage avec sa fille et sa petite-fille ces yeux verts, presque jaunes, de félins, qui disent une transmission dont Antonio semble de fait exclu car dans ce film ce sont clairement les femmes qui ont le pouvoir ou du moins l’entier intérêt du réalisateur. Les hommes qui passent dans le cadre sont au choix lâches, déséquilibrés voire carrément morts et les femmes ne paraissent pas souffrir outre mesure de leur absence.

Jusqu’ici seul le tableau d’un navire voguant sur l’océan, accroché au mur du salon, faisait ironiquement appel à la liberté. Un voyage néanmoins encadré, l’évasion avait ses limites. Antonio maintenant parti, en tout cas spirituellement parlant, Carmina se retrouve seule pour la première fois de sa vie et cette solitude se transformera vite en apprentissage de liberté retrouvée. Coincé dans son fauteuil, il est bien obligé désormais d’écouter sa femme même si la présence de ce mari est de nouveau un fardeau pour une toute autre raison cette fois. Carmina va dérouler ce qu’a été sa vie et s’interroger sur ce qu’elle aurait pu être si elle avait opté pour des choix différents mais, comme le dit le proverbe : « si ma grand-mère avait des roues, ce serait un autobus »,  ce qui est fait est fait. Certes le passé ne peut être changé, ce qui n’est heureusement pas le cas du présent et, libérée de tout regard moralisateur, Carmina va s’employer à mettre en application cette théorie. Fumer du cannabis, faire ce que bon lui semble de son argent, et même faire de la moto en soutien-gorge, après tout pourquoi ne pas essayer. Qui l’en empêcherait ? Sûrement pas la culpabilité et ce malgré les apparitions furtives d’Antonio, un peu énervé de rester pourrir dans le salon. On se prend d’ailleurs à regretter la faible exploitation de ce spectre pantouflard et puis, à bien y réfléchir, de quoi une telle hantise serait-elle le signe ? Car les morts se manifestent pour de bonnes raisons : pour se venger, pour délivrer un ultime message, pour se libérer de l’emprise d’un lieu ou d’une personne, voire pour conjurer l’ennui. En un mot comme en cent, les fantômes dépendent des vivants. Antonio n’est pas prisonnier de sa femme, la vérité serait plutôt l’inverse : aucun regret du côté de Carmina, aucune vengeance justifiée du côté de son mari alors, à quoi bon revenir ?

On ne manquera sûrement pas de rapprocher Carmina ! de la filmographie d’Almodovar (qu’il l’ait apprécié fait partie de la campagne de promotion du film) mais il n’a pas la flamboyance mélodramatique des œuvres du cinéaste castillan. Ce qui n’empêche en aucun cas d’apprécier ce long métrage pour ce qu’il est : drôle souvent et émouvant parfois.

Titre original : Carmina

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Durée : 93 mn


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