Anna, un jour

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La vie de couple comme une silencieuse tragédie.

La caméra descriptive

Le cinéma est un art étrange. Il peut nous raconter de belles histoires, mais il sert de plus en plus à dénoncer les injustices et les travers du monde actuel. C’est cette deuxième option qu’a choisie Zsófia Szilágyi, jeune assistante d’Ildiko Enyedi sur le film Corps et âme (Ours d’Or à Berlin en 2017). Anna, un jour est son premier long métrage qui fait très fort en mettant en scène la souffrance d’une jeune mère que son mari trompe avec sa meilleure amie. Rien de bien nouveau dans ce sujet, direz-vous, mais ce qui importe ici, pour le jeune cinéma hongrois, c’est le traitement du thème, et son style très proche à la fois du néoréalisme et du documentaire. Tout dans ce film est tellement proche de la réalité qu’on aurait presque tendance à croire qu’il s’agit de cinéma-vérité. Pourtant, nous ne sommes nullement présents dans cette vie, une vie semblable à tant d’autres vies, dans tant d’autres pays, mais nous en sommes spectateurs, presque voyeurs, comme si la réalisatrice voulait nous mettre face à la lâcheté de l’homme. Une petite vie faite de petits riens et de grandes douleurs, pouvant conduire à la folie ou à l’autodestruction.

 

 

Remarquable actrice

Le film est remarquablement interprété aussi par Sofia Szamosi, une actrice de théâtre, remarquée dans la troupe de Béla Pintér. Son interprétation porte bien sûr le film en entier et l’amène même sur le terrain de l’incontournable très long métrage de Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce, 1080 Bruxelles (1975) qui reposait, de son côté, presque entièrement sur le talent incontestable de Delphine Seyrig. Les deux actrices n’ont rien en commun, sauf le fait de pouvoir faire passer la douleur et la solitude de la femme mal aimée, souvent mise en poème, en chanson et en cinéma. On pense bien sûr à la célèbre chanson de Jean Ferrat, On ne voit pas le temps passer, qui raconte le quotidien désabusé d’une femme dont la vie se résume presque exclusivement aux tâches ménagères. C’est d’ailleurs ce que confie Zsófia Szilágyi dans le dossier de presse du film : « Quand ses enfants étaient petits, une de mes amies m’a décrit sa journée-type. Elle la décomposait en segments de dix minutes. C’était intéressant de voir un horaire aussi détaillé, et le temps que cela prenait d’être mère. Cela m’a également surprise de voir à quel point c’était difficile, mais ce qui m’avait le plus étonnée, c’est que je n’avais eu la moindre idée de la difficulté que cela représentait. C’était comme si les charges quotidiennes supportées par une mère était un secret et/ou un tabou. J’ai voulu comprendre ce qui rendait sa description de journée-type si compliquée. »

 

 

Forger ses propres chaînes

Il y a bien sûr tout cela dans son film, mais en plus il ne se présente pas comme un réquisitoire contre l’exploitation des femmes, ou la monotonie de la vie de femme au foyer, cette fameuse ménagère de moins de cinquante ans qui aide bien les statisticiens. Cela n’aurait pas été très intéressant, ni photogénique. Comme Jeanne Dielman, le film se contente de décrire minutieusement, presque phénoménologiquement, une vie dépouillée de presque tout, de joies simples, et où le simple voyage avec sa famille devient problématique par manque de temps, d’organisation. Comme si les femmes surtout, et les hommes un peu, prenaient un malin plaisir à forger leurs propres chaînes.

Titre original : Egy Nap

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Durée : 98 mn


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