Rencontre avec Pedro Almodovar

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Son dernier film, « Les Étreintes Brisées », sortira courant mai. Il est devenu une valeur sûre du cinéma mondial et a su tout au long de son oeuvre flirter avec la modernité des formes et des mots. Rencontre avec Pedro Almodovar.

A l’instar du nom de sa maison de production, baptisée « El deseo » (le désir), il se noue toujours une attente fébrile, un frisson irrépressible autour du nouveau film de Pedro Almodovár. Étreintes brisées, que le public français découvrira en salles en mai prochain, n’échappe pas à cette règle. Ira-t-il à Cannes, ou pas : telle est l’une des questions (réponse le 23 avril) qui virevoltent, ainsi, autour de ce grand mélo, déchirant de noirceur, porté par la sublime Penélope Cruz. Cet opus se voit et se vit, de fait, comme « une déclaration d’amour explicite au cinéma », pour reprendre le « maestro ». Une projection en avant-première, proposée fin mars à Paris à une poignée de journalistes, a en tout cas confirmé qu’il était très difficile de ne pas succomber à la passion d’Almodovar pour le 7e art. Aussi dense, ténébreuse, irrationnelle et exigeante d’ailleurs sur grand écran qu’en interview. Caliente !

Parce qu’il y a du thriller, dans Étreintes brisées, film hanté notamment par le thème du double, on ne peut s’empêcher de penser à Hitchcock. Est-ce une influence que vous revendiquez ?

Hitchcock, pour moi, est le maestro de tous les cinéastes. C’est le metteur en scène de tous les metteurs en scène. En plus, c’est l’un des rares qui ait su être un super auteur tout en produisant un cinéma de masse. Il est donc très difficile de se soustraire à son influence. Je pense souvent à lui quand je travaille, singulièrement sur ce film qui interroge l’image, la représentation de la réalité. Je me demande ce qu’il ferait, lui, aujourd’hui, avec tous les progrès techniques. En règle générale, je trouve qu’ils ne sont pas utilisés avec beaucoup d’imagination, mais lui, je suis sûr qu’il en ferait des miracles ! Et puis, il y a autre chose qui m’intéresse chez lui : la relation très particulière qu’il entretenait avec ses actrices. Cela pourrait faire l’objet d’un autre film, d’ailleurs (sourire). Oui, c’est ça, il reste un grand film à réaliser précisément sur ce sujet. Cette relation névrotique et tyrannique : Hitchcock était totalement amoureux de ses actrices et se vengeait d’elles sans doute parce qu’il était rejeté… Attention, il n’y a aucun jugement de valeur dans ce que je dis là !

L’un des personnages principaux d’Étreintes brisées est un cinéaste aveugle. Est-ce une façon de conjurer l’une de vos craintes les plus profondes ?

Peut-être est-ce parce que je n’ose même pas imaginer qu’il puisse m’arriver une telle tragédie que je l’inflige à mon personnage (rires) ! En tout cas, si cela devait arriver… il y a une chose à laquelle je ne renoncerais pas, c’est la lecture. J’engagerais des lecteurs professionnels… Je remarque d’ailleurs que lorsque je tourne un film, je choisis toujours les meilleures prises au son. J’ai besoin de les entendre.

La couleur reste néanmoins un élément déterminant de votre univers…

Oui, parce que dans le cinéma, l’élément dominant, c’est quand même l’image ! Pour moi, les couleurs ont de nombreuses significations. La façon dont je les utilise n’est absolument pas réaliste. Ce qui ne signifie pas qu’elle soient fausses ou qu’elles aient été choisies pour faire joli. Non, elles ont toutes un sens dramatique. De façon plus générale, tous les éléments, que ce soit les décors, la lumière, les costumes, sont pour moi une représentation de la réalité. Donc ils comportent tous un certain artifice. Peut-être parce que j’ai grandi dans les années 60. A l’époque, il y avait les couleurs flamboyantes du Technicolor. Ce sont elles que je recherche toujours. Je suis très influencé par les « sixties », les années du mouvement pop et leurs couleurs, justement. Et puis, il y a mon propre caractère, très baroque, même si je suis né dans la Mancha, la région la plus austère d’Espagne ! Tout cela, en tout cas, fait que l’utilisation des couleurs, dans mes films, n’est jamais banale ni gratuite. Idem pour la façon dont sont habillés les personnages. A travers les vêtements, ou les rideaux qui pendent aux murs, on souhaite toujours provoquer des émotions.

Comment choisissez-vous vos histoires ? Même complexes, comme celles de votre nouveau film, elles déroulent leurs rires et leurs larmes avec une étonnante fluidité…

Ce n’est pas moi qui choisis : ici, c’est le personnage de Lena (ndlr : interprété par Penélope Cruz) qui m’a choisi pour que je le développe ! L’élaboration d’une histoire reste très mystérieuse. Encore une fois, sans vouloir donner dans le paranormal, j’ai vraiment le sentiment que c’est cette histoire qui m’a choisi. De fait, le personnage de Lena, j’aurais bien voulu le sauver, mais dès le départ, il était condamné. En quelque sorte, je sers de medium et de vecteur à ces histoires…

Justement,  Étreintes brisées raconte une histoire où l’on oscille en permanence entre le cinéma, la fiction, et la réalité, en tout cas sa représentation. Vous dîtes vous-même que « c’est la première fois que [vous faites] une déclaration d’amour aussi explicite au cinéma »

Après avoir réalisé 17 films, en avoir vu des milliers, le cinéma est devenu une seconde nature pour moi. En fait, ma vie, c’est quasiment le cinéma. Sans doute parce que la vie de chacun est imparfaite. Heureusement, il me semble que tous les échecs que nous vivons parviennent à trouver leur harmonie au cinéma.

Il y a de fortes chances pour que votre film soit sélectionné à Cannes, en mai prochain, en compétition pour la Palme d’or (que vous n’avez jamais reçue). On dit même que c’est l’une des raisons pour lesquelles vous avez refusé d’être président du jury…

Ce n’est pas la première fois que l’on me propose d’être président du jury et j’ai presque toujours refusé pour des motifs personnels. Mais il y a un motif plus important encore : je déteste juger les films des autres. Je ne sais pas encore si mon film sera sélectionné, ou pas. Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, l’annoncera le 23 avril. Mais une chose est sûre : je n’aime pas être en compétition. Il est toujours étrange de recevoir un prix alors que d’autres bons films ne le reçoivent pas. Mais j’accepte les règles du jeu. Et puis je garde de très bons souvenirs de Cannes. J’aime cette fête, cette célébration du cinéma d’auteur !


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