Le Grand silence (Die Große Stille)

Article écrit par

Qu’est-ce que ce silence ? La parole de Dieu qui résonne. Un carton : « Voilà le silence : laisser le Seigneur prononcer en nous une parole égale à lui. ». Six mois durant, Philip Gröning a vécu au rythme des moines de la Chartreuse, près de Grenoble. Dix-huit ans qu’il attendait de pouvoir faire […]

Qu’est-ce que ce silence ? La parole de Dieu qui résonne. Un carton : « Voilà le silence : laisser le Seigneur prononcer en nous une parole égale à lui. ».
Six mois durant, Philip Gröning a vécu au rythme des moines de la Chartreuse, près de Grenoble. Dix-huit ans qu’il attendait de pouvoir faire ce film, après le refus initial du monastère en 1984. De cette expérience enfin permise, le réalisateur tire un film qui sonne juste, fidèle à son sujet et emprunt d’une beauté plastique réelle, mêlant prises de vue en Haute Définition et Super 8.

Le film est un témoignage de l’autarcie de cette communauté aux valeurs chrétiennes épurées de tout matérialisme, contentée de sa foi. L’isolement des moines est montré dans cet espace austère, la solitude figurée par l’immensité des pierres qui les entoure, par des plans en plongée sur ces silhouettes souvent immobiles, dans la grandeur des lieux. A ces plans répondent des cadrages plus serrés dans l’intimité de la prière, et des inserts de détails, de paysages alentours (les Alpes).

Mais outre une mise en scène s’accordant aux décors, ce qui semble compter ici est le temps : il est comme décomposé, ralenti par une activité spirituelle se défiant de lui. Ainsi le film dure près de trois heures. Mais le temps passe et c’est tant mieux : nous rejoindrons Dieu, dans la joie, impératif chrétien prononcé à la fin par ce moine aveugle et grabataire qui bénit son sort. Une figure signifiante d’une forme d’ironie ou de détachement critique de la réalisation ? Pas vraiment. Il n’est en effet pas question ici de dénoncer ou de cautionner ce style de vie autarcique. Le point de vue du réalisateur est plus de l’ordre de la fascination, son regard s’appropriant les lieux et le temps qui s’y écoule, pour témoigner de leur singularité. Tout en faisant partager son expérience propre par l’image, celle-ci confère également au film un caractère hypnotique et poétique, tentant de traduire de surcroît l’expérience des individus qui forment la communauté.

Le spectateur est-il libre de partager cette expérience et d’invoquer sa propre sensibilité ? Si le film nous renvoie assurément à notre intériorité et notre rapport au monde, en exposant l’extrême et ascétique vie religieuse de l’ordre des Chartreux, il ne semble désigner d’autre hors champ que ses cartons rappelant le spectateur, sur fond noir, à la parole divine. Les paysages, figurant le passage des saisons, ne font pas assez trembler le récit pour s’imaginer ailleurs.

Le silence est ici d’une force imparable, s’imposant, définissant à lui tout seul ce temps ralenti. Sans mot ou presque (les échappées du monastère, non pour rencontrer l’extérieur mais pour se rencontrer entre moines, laissent échapper quelques discussions, quelques rires), le film peut aussi lasser. Et l’on se doute que la communauté des Chartreux parle plus que ce qu’il nous est montré. On appréhende ainsi, dans cette pensée commune, des individualités aux failles qui demeurent tues mais visibles. Des silhouettes filmées en silence donc, selon les principes de l’ordre régnant, force et faiblesse du film qui ne parvient réellement à en dégager une parole originale, au risque d’être peu compris par les personnes insensibles à son sujet.

Titre original : Die Große Stille

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Durée : 104 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…