L’Affaire Farewell

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Le cinéaste bien pensant de « Joyeux Noël » s’aventure, contre toute attente, dans le film d’espionnage. Du coup, il en perd ses certitudes, pour notre plus grand plaisir : son nouveau film est juste et dense. Porté par d’excellents comédiens.

Ce film surprendra. Notamment ceux qui ont jusqu’alors boudé l’aspect scolaire des ouvrages bien-pensants de Christian Carion (Une hirondelle a fait le printemps, Joyeux Noël). Ce n’est pas tant que ce cinéaste français « à l’ancienne » ait tout à coup opté pour une forme débridée, voire expérimentale (!). Mais en s’attaquant à un genre – une affaire d’espionnage – propice à toutes les ambiguïtés, son cinéma modeste, résolument narratif, acquiert une épaisseur salutaire. C’est peu dire, même, que la densité de L’Affaire Farewell intrigue, voire passionne.

Certes, on retrouve au départ tout ce qui, d’ordinaire, fige la matière de Carion : à savoir un casting international et un saut dans le temps (l’action se situe à Moscou, dans les années 80). Sauf que là, et ça n’est peut-être pas un hasard, ces ingrédients fonctionnent a contrario comme une valeur ajoutée. Notamment la reconstitution précise de la Russie soviétique d’alors, entre gris clair et vert de gris (brrrr….!). Tout cela, langues étranges et étrangères qui se mêlent, décalages culturels entre les personnages, mais encore avec le spectateur d’aujourd’hui, tout cela en effet donne une distance froide et opaque à cette stupéfiante histoire (vraie). Celle-là même qui, rétrospectivement, contribua juste… à changer la donne géopolitique et internationale, bouleversant les grands équilibres nés à l’issue de la Seconde guerre mondiale !

Pas rien, donc. Or, d’emblée, et tout au long du film, l’on sait gré à Christian Carion d’avoir « démantelé » simplement cette étonnante affaire située dans les dernières heures de la Guerre froide. Nul effet appuyé pour saisir le vertige de ces faits, bien qu’ils restent aujourd’hui encore assez opaques (on n’a jamais retrouvé le corps de « Farewell », par exemple, ce colonel du KGB par lequel tout s’est déclenché). Nul surlignage, nulle démonstration par trop sentimentale. Juste des doutes, des personnages qui errent, se trompent, se mentent, s’égarent, s’interrogent. Leur vie privée faisant écho à leur vie citoyenne. Probablement parce qu’une synthèse « objective » de cette histoire est de toute façon impossible. Carion le sait, lui qui jusqu’alors, pourtant, semblait ne vouloir se servir du cinéma que comme d’un (improbable) médium de vérité. Là, de dissimulations en rebondissements, la vérité s’échappe sans arrêt.

Points de vue

Du coup, l’allusion fordienne à L’homme qui tua Liberty Valance (on revoit, par écran de télé interposé, la scène célèbre du duel, qui offre deux points de vue) ouvre de nouvelles perspectives à son cinéma. Même si l’on reconnait aussi un peu ses travers scolaires (bon élève). Rien de grave néanmoins. Plongé dans ce bain d’eaux glaciales et contradictoires, Christian Carion n’a plus de bons sentiments ni d’héroïsme premier degré à nous asséner. Et c’est tant mieux. De fait, de Reagan à Mitterrand, les points de vue se déplacent ô combien dans L’affaire Farewell. Et, parce que l’on ne cesse de traverser le miroir (même déformé), l’on ne cesse, également, de comprendre des choses différentes… D’où ce sentiment de densité, bienvenu, judicieux, servi en outre par des comédiens remarquables.

Indéniablement, dans l’optique de ce « cinéma grand public » revendiqué (Carion à chaque fois a emporté l’adhésion de plus de 2 millions de spectateurs en salle), la distribution de ses films a toujours été soignée. Michel Serrault, Mathilde Seigner, Dany Boon, Guillaume Canet : pour L’hirondelle… comme pour Joyeux Noël, c’était quand même du lourd. Cette fois, si l’on est content de retrouver Guillaume Canet (décidément, la tenue d’« espion » malgré lui le transcende, après le film très réussi de Nicolas Saada), on est carrément enthousiaste face à la prestation d’Emir Kusturica. Farewell, ce colonel déçu du régime soviétique qui décide, dans un ultime sursaut, de faire tomber le système, c’est lui. Idéaliste, pas franchement bavard, d’une sobriété massive, perplexe, touchante, à mille lieues de ses films foutraques, l’Emir en impose, littéralement, sans doute servi par un scénario qui joue pas mal sur l’humain (forcément). Et encore parce que sa fausse nonchalance « naturelle » s’oppose parfaitement à l’inquiétude plus juvénile de Canet. Bien joué, à tout point de vue.

Du coup, même s’il manque encore globalement un peu de style, d’élan personnel et d’abîmes réels à ce cinéma-là, on se dit, au terme d’1h53 sans temps mort, que L’Affaire Farewell en rassemble les meilleurs côtés. Du cinéma adulte et populaire, ça n’est pas si courant.

Titre original : L'Affaire Farewell

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Durée : 113 mn


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