Toi, moi, les autres

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Une comédie musicale sur la France d’aujourd’hui, sans énergie et embourbée dans des clichés télévisuels.

C’est un grand écart bien périlleux qui semble se trouver à l’origine du dernier film d’Audrey Estrougo : combiner l’onirisme de la comédie musicale avec la dureté du drame social, le tout appliqué à une histoire de type Roméo et Juliette transposée dans la France de 2010 – une France divisée par la question des sans-papiers. On rêve de West Side Story ou encore d’Une Chambre en ville. C’est raté. On a Plus belle la vie avec des chansons et des chorégraphies (plutôt moches en plus).

Leïla rencontre Gab’. Elle est « arabe », et cache sa meilleure amie qui n’a plus de titre de séjour valable. Il est « blanc », bourgeois, tendance royaliste, fiancé et fils du préfet de police de Paris. Bref, c’est un « vrai français ». Entre eux le courant passe très vite. Mais comment s’aimer quand on est si différents ? Et surtout comment faire accepter cet amour autour de soi ? Le choc des cultures promet, dit-on, de faire des étincelles. Vraiment ?

Ouvertement anti-sarkozyste et manichéen jusqu’à l’os dans sa manière de le revendiquer, le film joue le jeu de l’opposition communautaire. Il donne à voir une France faite d’un côté de royalistes et des policiers qui travaillent pour eux (les méchants), et de l’autre d’immigrés qui vivent dans un ghetto et dansent dans la rue (les gentils). C’est un peu sa part hollywoodienne, faite d’attrait pour la fable et le cliché. Un cinéma fait en partie d’archétypes et qui n’a jamais boudé son plaisir à tirer un peu (parfois un peu trop) le trait sur tel ou tel personnage histoire de le rendre encore un peu plus désagréable. Mais cette tendance demande, pour que le film fonctionne, à être soutenue par une énergie dans le filmage et l’interprétation qui permette à son univers d’arriver à un point d’incarnation le faisant exister et prendre vie sous nos yeux. C’est ce qui fait ici malheureusement défaut, la mollesse des acteurs et du style télévisuel décrédibilisant constamment l’entreprise. Quant aux séquences musicales, elles font office d’intermèdes, voire d’illustrations dispensables, et ne parviennent en aucun cas au degré d’euphorie qui doit être le leur dans une comédie musicale. Incontestable marque d’un manque d’âme.

L’autre problème du film, c’est son absence de regard critique vis-à-vis des représentations qu’il véhicule, son adhésion au premier degré à un monde de clichés particulièrement caricaturaux qu’il utilise pour faire passer un message à ambition universaliste, dont l’hymne revendiqué est la chanson de Zazie Tout le monde il est beau. Le personnage du coiffeur gay qui rêve d’aller exercer à Hollywood est révélateur de cette manière qu’à le film de militer pour une différence faite d’idées (mal) reçues. Chargé de tics verbaux et gestuels, il semble tout droit sorti d’une émission de télé-réalité. On pourra également s’interroger sur les clichés ethniques qui se trouvent ici colportés et reproduisent ce que l’on trouve aujourd’hui dans de nombreux médias audiovisuels. Opposer ainsi sans aucune distance un certain côté festif des « couleurs du monde », tout droit sorti d’une fantasmatique de l’étranger bienheureux, au gris-bleu de la police et des intérieurs bourgeois contribue à perpétuer une forme de racisme. Surtout pour un film qui ne parvient jamais à assumer totalement son attrait pour la fable et l’imaginaire et tente de préserver une part de réalisme.

Quant à proposer Sauver l’amour comme réponse à « La France tu l’aimes ou tu la quittes », cela montre bien qu’on détourne le sujet, qu’on évite de se poser des questions et se trompe de discours. L’art de la caricature demande une certaine finesse dans la lecture du monde qu’il propose, ainsi qu’une vivacité d’esprit installant un échange avec la réalité. L’autisme télévisuel ici à l’œuvre témoigne malheureusement d’une incapacité totale à rendre compte avec lucidité des maux français contemporains. Sur la question, Le Nom des gens de Michel Leclerc proposait récemment une lecture plus construite et distanciée, mais également autrement porteuse d’espoir.

 

Titre original : Toi, moi, les autres

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Durée : 90 mn


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