Les Méduses

Article écrit par

Réalisé par un couple d’écrivains, Etgar Keret et Shira Geffen, Les Méduses présente des fragments de vie d’une galerie de personnages féminins différents les uns des autres mais reliés par un fil conducteur : la solitude, près du littoral de Tel-Aviv. La séparation est au cœur de ce film choral. La coiffure négligée, la chemise […]

Réalisé par un couple d’écrivains, Etgar Keret et Shira Geffen, Les Méduses présente des fragments de vie d’une galerie de personnages féminins différents les uns des autres mais reliés par un fil conducteur : la solitude, près du littoral de Tel-Aviv.

La séparation est au cœur de ce film choral. La coiffure négligée, la chemise mal boutonnée, et le vernis écaillé, telle est la première apparition de Batya dont la maison est similaire à son allure, reflet d’un état d’abandon. Sur la porte d’entrée, le nom de l’ancien compagnon est effacé à l’aide d’un blanc correcteur. La solitude s’installe à ses aises dans l’appartement de la jeune femme ne recevant comme visiteur principal qu’une eau, expression de la mélancolie et qui a traversé les fentes d’un plafond vétuste. Ailleurs, une vieille femme atrabilaire se sent également délaissée comme toutes ces personnes âgées qui attendent la venue très proche de la Grande Faucheuse. Joy, la Philippine engagée pour prendre soin de la dame d’humeur acariâtre, est aussi rongée par la solitude, loin de son fils resté au pays, et a vu son bonheur familial suspendu par des kilomètres de distance. Malgré son récent mariage, Keren, a l’impression que des bulles semblables à des geôles ont supplanté les bulles de champagne pour l’emprisonner dans l’abandon tandis que sa voisine de chambre, femme de lettres de son état, occupe, seule, une suite destinée à des amoureux.

L’un des maîtres mots du premier long métrage de Keret de Geffen est la solitude mais Les Méduses ne sombre pas dans un univers glauque. Une poésie à la fois pleine de mélancolie et toute légère irradie le drame à travers la thématique de la mer, personnage à part entière dans le film. Le titre même y fait référence, les héros ont l’illusion de choisir leur propre chemin. Ils se déplacent tels des méduses, sans pouvoir contrôler leur vie, expliquent les réalisateurs. Avant de faire ses premiers pas dans le cinéma, Geffen a écrit des livres pour enfants et cette expérience littéraire se manifeste dans son long métrage fortement imprégné d’innocence et d’onirisme. Pour incarner cette candeur et aussi pour suggérer le sentiment de solitude : une petite fille au visage affable, à la taille entourée d’une bouée, sortie miraculeusement des eaux comme Vénus. Batya poursuivra sans cesse cette enfant comme si elle était à la recherche d’un bonheur perdu. L’eau évoque bien sûr les larmes mais elle connote également la régénérescence ainsi que le montre l’un des très beaux plans du film où les mains de la petite fille et celles de Batya s’effleurent de la même façon que celles des personnages de La Création d’Adam, ornant la fameuse chapelle Sixtine. Autre manifestation de l’enfance et de la poésie : une série d’objets inanimés qui, soudain, prennent vie. Ainsi, les voiles d’un bateau en miniature se gonflent sous l’effet d’un vent invisible de même que les pans d’une chemise d’un personnage pris en photo.

Nimbé du prix de la Caméra d’or lors du dernier festival de Cannes, Les Méduses est un drame de la solitude garni d’une mise en scène scintillante, où la tristesse se mêle à une fraîcheur qui nous invite à explorer la ville de Tel-Aviv, ses rivages, ses eaux ainsi que l’univers de quelques-unes de ses habitantes qui, ensemble, vivent dans la solitude.


Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home/clients/8d2910ac8ccd8e6491ad25bb01acf6d0/web/wp-content/themes/Extra-child/single-post.php on line 73

Lire aussi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

L’étrange obsession: l’emprise du désir inassouvi

« L’étrange obsession » autopsie sans concessions et de manière incisive, comme au scalpel ,la vanité et le narcissisme à travers l’obsession sexuelle et la quête vaine de jouvence éternelle d’un homme vieillissant, impuissant à satisfaire sa jeune épouse. En adaptant librement l’écrivain licencieux Junichiro Tanizaki, Kon Ichikawa signe une nouvelle « écranisation » littéraire dans un cinémascope aux tons de pastel qui navigue ingénieusement entre comédie noire provocatrice, farce macabre et thriller psychologique hitchcockien. Analyse quasi freudienne d’un cas de dépendance morbide à la sensualité..

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

Les derniers jours de Mussolini: un baroud du déshonneur

« Les derniers jours de Mussolini » adopte la forme d’un docudrame ou docufiction pour, semble-t-il, mieux appréhender un imbroglio et une conjonction de faits complexes à élucider au gré de thèses contradictoires encore âprement discutées par l’exégèse historique et les historiographes. Dans quelles circonstances Benito Mussolini a-t-il été capturé pour être ensuite exécuté sommairement avec sa maîtresse Clara Petacci avant que leurs dépouilles mortelles et celles de dignitaires fascistes ne soient exhibées à la vindicte populaire et mutilées en place publique ? Le film-enquête suit pas à pas la traque inexorable d’un tyran déchu, lâché par ses anciens affidés, refusant la reddition sans conditions et acculé à une fuite en avant pathétique autant que désespérée. Rembobinage…