Very cold trip

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Quatrième long métrage de Dome Karukoski, véritable promesse du cinéma finlandais, Very cold trip est une étude de moeurs déguisée en road trip régressif entre losers. Un bijou de farce pince-sans-rire.

Humour noir : "forme d’humour qui souligne avec cruauté, amertume et parfois désespoir l’absurdité du monde, face à laquelle il constitue une forme de défense", annonce l’infaillible Wikipédia. On serait tenté d’ajouter : "genre très souvent exploré par le cinéma nordique et dans lequel Dome Karukoski, 34 ans, vient de s’illustrer de façon très prometteuse". Very cold trip, son quatrième long métrage – et sa première comédie — est un petit bijou de farce pince-sans-rire.

Ainsi, en guide de séquence d’ouverture, le réalisateur finlandais nous présente la silhouette décharnée d’un arbre solitaire auquel cinq générations d’hommes d’une même famille sont venues se pendre. Nous sommes en Laponie, région brûlée par un soleil inépuisable en été, plongée dans les ténèbres tout l’hiver, sinistrée par le chômage et dotée d’un taux de suicide record…

"Pekko Pesonen, le scénariste, avait déjà réalisé un documentaire sur ce sujet. Nous aurions pu en faire un drame, mais je trouvais trop facile et peu respectueux pour les habitants de cette région d’aborder la difficulté de leur quotidien sous cet angle, explique Karukoski. La tragicomédie réaliste s’est donc imposée à nous."

L’épisode de l’arbre passé, Karukoski n’entre toujours pas dans le vif du sujet. Il nous rend spectateur d’un match de hockey sur glace qui traumatisa le pays en 1995 : alors qu’elle menait au score, la Finlande s’est laissée rattrapée par la Suède qui remporta la finale de la coupe du monde.

Passage suivant : une scène de ménage entre Janne, trentenaire chômeur et avachi (Jussi Vatanen, notre futur héros) et Inari, sa sublime petite amie (Pamela Tola). Trois ans qu’elle lui demande en vain d’acheter un décodeur pour la télé et qu’il n’a rien d’autre à faire de ses journées… Après avoir manqué une énième soirée en amoureux devant Titanic, la belle le met à la porte avec un ultimatum : ramener un "digibox" avant l’aube ou la rupture sera définitive. De l’action, enfin !

En prenant le temps de contextualiser son récit, Karukoski nous glisse dans la peau de ce qu’il appelle un "Finlandais symbolique". "Chez nous beaucoup d’hommes ont du mal à comprendre ce qui leur arrive. Ils ont grandi dans une société patriarcale qui est désormais dirigée par les femmes : nous avons une Présidente, une Premier ministre et dans les familles, ce sont de plus en pus les femmes qui décident. Parfois, ce sont même elles qui rapportent l’unique salaire. Ajoutez à cela un complexe d’infériorité culturel face à notre voisin, la Suède, et vous comprendrez le sentiment de honte que peut ressentir un jeune finlandais de nos jours."

Dans le cas d’ados attardés comme Janne et ses copains — le dépressif Kapu (Jasper Pääkkönen) et le puceau Räihänen (Timo Lavikainen) — on peut encore parler de voyage initiatique pour désigner le périple à rebondissements qui les attend. Comme beaucoup de road movies, Very cold trip est rythmé par une succession d’événements improbables — panne d’essence, panne de fric, panne sexuelle, rencontres du troisième ou du quatrième type… — les éloignant de leur graal. C’est là le seul point commun avec le potache Very bad trip ayant inspiré le titre français. Hilarant, le film de Todd Phillips n’en présentait pas moins le (nouveau) sexe fort sous un jour misogyne assez agaçant. Ici au contraire, Inari a toutes les cartes en main, même si la part féminine du public s’interrogera sans doute longtemps sur les secrets de longévité de son couple avec un loser de première.

Evidemment, Karukoski s’autorise quelques gags régressifs tendance couillons, mais Very Cold Trip (Lapland Odyssey à l’international) est avant tout une réflexion sociétale élégamment menée. Le chapitrage un peu théâtral et l’ascension tragicomique vers l’absurde évoquent le fantastique Frozen land d’Aku Louhimies (où l’on croisait déjà Jasper Pääkkönen et Pamela Tola) ainsi que quelques autres chefs d’œuvre du cinéma finlandais contemporain, mais Karukoski apporte sa pierre très personnelle à l’édifice. Fermez les yeux, on se croirait par moment chez Ennio Morricone, tant la bande-son, ethnico-folk composée par l’Irlandais Lance Hogan – étonnamment proche de certains airs lapons — insuffle à cette épopée un souffle d’espoir euphorisant. Ouvrez-les à nouveau et admirez l’insolence froide de la mise en scène : les frères Coen semblent avoir fait des émules près du cercle arctique.

Pour la première fois en Finlande, une comédie a fait un quasi carton plein auprès du jury des Jussi Awards (équivalent de nos César) : dimanche dernier, Very cold trip a été consacré "meilleur film", "meilleur réalisateur", "meilleur scénario" et a reçu le prix du public. Surpris, ému, Dome Karukoski a oublié de citer sa mère durant la traditionnelle séance de remerciements. Il ne s’en est toujours pas remis. Heureusement, les femmes finlandaises sont magnanimes. A condition qu’on fasse ses preuves.

Titre original : Lapland Odyssey

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Acteurs : ,

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Durée : 95 mn


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