Un homme révolté
En s’inspirant des Anonymous, ne serait-ce que par l’utilisation du même masque, Mehdi Senoussi, dont c’est le deuxième film, après Talents cachés (2015, film inédit), révèle un vrai talent de conteur et de cinéaste. On le connaît surtout comme acteur dans Fatima ou Qu’Allah bénisse la France et, d’ailleurs, il interprète ici le rôle titre, celui du révolté Redouane, dit Red. Il faut dire que ce rôle lui convient tout particulièrement, son visage respire à la fois la douceur et une révolte sourde qui procurent à ce polar inhabituel une grâce et une profonde vérité, qui sont très réalistes. La citation qu’on retrouvera sur l’affiche : « L’homme le plus dangereux est celui qui n’a plus rien à perdre », donne toute sa dimension au film lui-même. Après cinq ans d’études supérieures, Redouane est toujours à la recherche d’un travail et lutte chaque jour contre l’exclusion. Peu à peu, il s’éloigne de l’amour de sa vie, Anna, et même de la réalité. Lorsqu’il reçoit une lettre lui signifiant sa radiation, il va se rendre à l’ANPE où on lui refuse un rendez-vous. C’est alors que l’histoire va basculer dans une prise d’otage laquelle va occuper toute la durée diégétique du film.
Une machine à broyer l’humanité
Ce huis clos, car Red a pris en otages le personnel et quelques usagers de l’agence, va mettre en images ce que Sartre décrivait déjà dans sa pièce du même nom, « l’enfer, c’est les autres ». De cette galerie de portraits se dégage une histoire de l’humanité, avec ses faiblesses, ses lâchetés mais aussi sa grandeur, son courage et son désintéressement. « Je me réveille comme je me couche : avec la peur et le doute. Je ne sais plus ni qui je suis, ni où je vais vraiment. Tout se mélange dans mon esprit. Tant de peines et de sacrifices, d’espoir et de déceptions, ces années d’errance et de frustration… » C’est ce que déclare l’antihéros du film qui se demande s’il est un « vaurien » au sens premier du terme (d’où le titre en forme de provocation). À partir de ce moment, il n’est en contact avec l’extérieur de l’agence qu’avec une animatrice de radio locale, puisque l’histoire se passe dans la région lyonnaise d’où le réalisateur est originaire, et les forces de l’ordre. Red libère peu à peu certains otages, le directeur de l’agence profite d’un moment d’inattention pour se faire la belle, prouvant encore une fois son courage. Mais le film, s’il est bien sûr une dénonciation de la dureté du monde du chômage (pour ne pas dire du travail qui l’est cependant tout autant), que l’ultralibéralisme prôné par Emmanuel Macron et l’Europe ne va pas arranger, est une fable avant tout humaniste qui pose la question fondamentale de la culpabilité. Qui est responsable de ce gâchis dans ce monde kafkaïen ? Même s’il est désespéré, à bout d’arguments, Red n’utilise pourtant pas la violence.
La mort de l’anarchie ?
On voit que le monde a bien changé depuis les anarchistes à la Sacco et Vanzetti, le terrorisme islamiste est venu tout chambouler et il faut reconnaître à Mehdi Senoussi du courage et du talent pour s’être attaqué à ce qui aurait passer pour de la provocation. Il n’en est rien et son film est passionnant, même si, par moments, il fait un peu penser au style téléfilm de par l’image de Malik Brahimi, très froide, et les décors de William Abello hyperréalistes. Le message du film à retenir tel que le définit du moins le réalisateur, même s’il est vraiment dans la mouvance actuelle de la bien-pensance, est assez clair : « Effacer les différences. Oublier le rang social, les convictions religieuses, la couleur de la peau… Le but est de prendre à contre-pied les spectateurs qui, généralement, ont des a priori. » Ils pourront toutefois faire leur miel de ce film, servi en plus par un casting impeccable, puisque même de grands noms ont tenu ne serait-ce qu’à figurer pour apporter sans doute leur caution à ce jeune réalisateur prometteur : Jean-Michel Fête, Moussa Maaskri, Annie Mercier, Nassim Si Ahmed, Jeanne Ruff, Francis Renaud, Karina Testa, Pascal Elbé, Romane Bohringer, Phénix Brossard, Carlo Brandt, etc.