Un moment d’égarement (Claude Berri, 1977)

Article écrit par

Fruit défendu.

Fidèle à quelques réalisateurs fétiches, Jean-Pierre Marielle l’aura été aussi à Claude Berri qui l’aura dirigé dans quatre films : Le Pistonné (1970), Sex-shop (1972), Uranus (1990) et, en 1977, Un moment d’égarement. L’intrigue – celle d’une liaison interdite portant préjudice à une longue amitié – étant ici ténue, Berri peut se concentrer à loisir sur ses deux personnages principaux et leurs interprètes respectifs, à savoir Victor Lanoux et Jean-Pierre Marielle.

Intimiste

Par son format déjà, 1h17, Un moment d’égarement affiche une certaine modestie, que l’on retrouve dans le resserrement des personnages, des lieux et de l’histoire. L’épouse et l’ex-épouse des deux amis n’apparaissent pas et on n’entend même pas leurs voix, ce qui rend tangible un manque affectif assez criant pour les deux hommes esseulés. On a aussi comme le sentiment d’un film de vacances capté à la dérobée. La mise en scène, exempte de découpages sophistiqués, va dans ce sens. Discrète, voire imperceptible, elle fait le choix de plans-séquences fluides sans grossissements ni effets. Seul un arrêt sur image final apparaît comme un choix de mise en scène plus visible, dans une optique générale de sobriété.

En retenue

Les acteurs concourent aussi à cette sensation de naturel, à l’image surtout de Marielle. Celui-ci adopte dans ce film un jeu tout en retenue, à l’opposé des numéros pétaradants auxquels il a habitués son public ; il y fait montre d’un naturel qui ne se vend pas, où rien ne semble calculé ou forcé, un jeu qui ne veut pas impressionner, mais qui, par là, impressionne. Dès l’ouverture, l’absence de théâtralité, un comble pour un comédien d’ordinaire si théâtral, frappe : une composition invisible, un hyper-réalisme troublant, et des phrases parfois articulées avec nonchalance. Marielle tranche ainsi également avec Lanoux, à qui il est donné l’occasion d’un jeu plus extériorisé : colère noire, coups et souffrance.

Un rôle physique

C’est pour Marielle aussi un rôle physique, dans lequel son corps musclé, objet du désir de la jeune adolescente, est mis en valeur. Les premières scènes insistent sur son côté tactile : enduisant le dos de son ami de crème solaire avant de lui déposer sur les fesses une tape amicale, familier avec sa fille et l’amie de celle-ci. La plage et la baignade, le cadre estival et sensuel de Saint-Tropez autorisent un dévoilement des corps, se révèlent propices à l’éclosion de désirs, même les plus inattendus ou les plus interdits.

« C’est pas un salaud. »

L’acteur témoigne aussi dans ce film de sa capacité à rendre attachants des personnages lâches ou veules, à leur octroyer une complexité et une humanité, et à les faire devenir moins détestables qu’ils ne l’étaient peut-être sur le papier. Avec hardiesse, il prête ici ses traits à un père divorcé depuis dix ans, en plein dilemme moral, succombant à la tentation avec la fille mineure de son meilleur ami qui tombe amoureuse de lui en secret. Ce qu’on sait du personnage ne nous conduit pas de prime abord à le trouver sympathique : le fait qu’il ait frappé sa femme lorsqu’ils étaient encore ensemble, comme le dialogue nous l’évoque rapidement. Il gifle aussi sa fille après une arrivée nocturne et se montre sévère avec elle. Marielle arrive pourtant à augmenter son capital sympathie en ami fidèle et père aimant malgré des erreurs manifestes actuelles et passées. Il finit également par assumer son acte et faire en fin de compte preuve d’un certain courage. Il ne s’agit pas de l’excuser, mais de le rendre compréhensible, humain, proche de nous. Marquante est aussi la scène lors de laquelle, dans un contexte critique et grave, il reste tout de même jovial et courtois au téléphone avec la femme de son ami en séjour au Club Méditerranée à Agadir, lui glissant même : « Elle est pas trop dégueulasse la nourriture ? »

Entre deux tons

Le sujet aurait pu donner lieu à une tragédie, mais Berri ne fait pas ce choix, lui préférant une oscillation entre douceur et amertume. La gravité de l’acte est comme compensée par l’absence de jugement de la part du réalisateur, tout comme l’insouciance de l’été, et l’humanité, donc, du personnage de Jean-Pierre Marielle. À l’instar de la chanson d’Alain Souchon « Y a d’la rumba dans l’air » qui passe dans la voiture au début, il émane du film un parfum de légère mélancolie, un balancement entre les genres qui le rend, là aussi, proche de la vie.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi