Twin Peaks (Twin Peaks: Fire Walk with Me)

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David Lynch réalise en 1992 Twin Peaks, chef-d’œuvre de suspense et de tension, très annonciateur de Mulholland Drive et d’Inland Empire, quoique l’intrigue soit ici bien moins trouble. La succession de ses films semble en effet aller avec le temps vers un choix explicite du ressenti du spectateur et non de sa compréhension des événements […]

David Lynch réalise en 1992 Twin Peaks, chef-d’œuvre de suspense et de tension, très annonciateur de Mulholland Drive et d’Inland Empire, quoique l’intrigue soit ici bien moins trouble. La succession de ses films semble en effet aller avec le temps vers un choix explicite du ressenti du spectateur et non de sa compréhension des événements que le cinéaste propose.

Twin Peaks donne tout d’abord la part belle aux effets sonores et le choix du fond musical est très travaillé. A l’image de Blue Velvet, les personnages sont ballotés sur un fond de blues dont l’apparente légèreté, voire la mélancolie, contrastent avec les situations dramatiques qu’ils vivent.

Outre la répétition lancinante du même morceau jazzy, Lynch joue énormément avec la reprise de certains éléments, effets sonores, visuels ou objets : toujours ce fameux rideau rouge, élément cher à Lynch puisqu’il revient également dans Blue Velvet. Ces répétitions jalonnent le film et sont comme des balises à l’intension du spectateur. Chaque apparition furtive à l’image d’un fond brouillé bleu, (écran de TV allumé mais sans canal), est toujours annonciatrice d’une scène angoissante. Lynch parvient par ce simple effet qu’il déroule à garder le spectateur en état d’attente : ciel qui se brouille l’espace de quelques secondes, visage qui s’éclaire soudainement de cette même teinte de bleu, voire même recours à la présence de néons bleus grésillant dans un bar glauque.

Le travail inventif sur les contrastes culmine lors des scènes d’intrusion d’un semi clochard animal dans la chambre rose de fillette de l’héroïne, l’intrusion à elle seule figure le viol de la jeune fille. La scène intense et onirique dans le bar mal famé qu’ont élu les deux jeunes héroïnes pour devancer leur Chute, et lui donner un coup d’accélérateur, est le parfait exemple des prouesses de Lynch. Il nous emmène à la frontière de l’invraisemblable en faisant danser Laura Palmer, la blonde, et son amie brune et diaphane au milieu d’une bande de montagnards vulgaires et mal dégrossis. Lynch n’hésite pas à nous faire plonger dans une Amérique sale et miséreuse, nous ballotant de campings miteux en stations d’autoroutes tenues par des serveuses grossières sur de mauvais airs de juke-box.

Le film est construit de manière originale puisqu’il adopte la forme d’un incipit d’une demi-heure suivi de la narration d’événements qui ont lieu un an plus tard, en miroir avec ceux de l’incipit. Loin de nous lasser, cette approche lui permet d’anticiper ce à quoi peuvent s’attendre les nouveaux personnages, et de se le confirmer par de fréquents flash back.

Twin Peaks commence par une scène admirablement réussie, l’œil est ainsi abandonné pendant un long moment, passif, devant un écran bleu brouillé de télévision, vision hypnotique, Lynch profite de cet état hagard pour planter là la première scène de meurtre, hurlement de la victime qui déclenche un sursaut chez le spectateur ainsi prévenu : il n’a qu’à se tenir sur ses gardes. Twin Peaks s’avère en effet être une succession de visions furtives, à la frontière du rêve, du fantastique et de l’état extatique de Laura sous l’emprise de la drogue.

A l’instar de Kubrick dans Shining, Lynch installe une ambiance inquiétante par le déroulement de l’action à l’orée des bois de montagnes, sapins lugubres, et routes solitaires… Les scènes violentes se déroulent d’ailleurs toutes au milieu de ces forêts, dans des cabanes en bois sous des ciels de pleine lune.

Lynch met en scène des personnages à la limite de l’humain, complexes et intrigants. Twin Peaks fait ainsi penser à un défilé de carnaval du grotesque et du bizarre, mettant en scène une farandole disparate composée d’un nain au langage étrange, d’une vieille dame à l’élégance surannée, d’un enfant accoutré d’un masque blanc inquiétant, d’un père à double facette : caricature du quarantenaire bien installé dont la façade s’écroule à plusieurs reprises pour laisser à nu et sans vernis sa terrible vérité, celle d’un père incestueux et violent prisonnier de ses pulsions sexuelles, facette représentée par un clochard, au visage animal.

Impossible d’évoquer Lynch sans admirer son approche du personnage féminin, et son traitement de la blonde rebelle et érotique, fraîchement sortie de l’adolescence et de sa chambre, charmant cocon de dentelle rose. Ici, elle est incarnée par la splendide Sheryl Lee, alias Laura Palmer, qui se dandine dans les couloirs du lycée et allume ses camarades devant les casiers. Belle parodie de l’environnement lycéen des séries américaines mais dont les personnages ne sont ici pas perturbés par l’élection de la reine du lycée mais par les rails de coke, le sang qu’ils ont sur les mains et le désenchantement profond qu’ils éprouvent.

Laura est instable, désaxée, et plonge à corps perdu dans la décadence, mais avec une lucidité qui fait froid dans le dos, à l’image de son discours sur la Chute, et l’abandon des hommes par les anges. Cette impossibilité du recours à une aide extérieure tout au long du film amplifie l’angoisse: ce ne sont plus les anges qui tirent les ficelles, mais une petite bande grotesque de saltimbanques étranges.

Le rideau rouge s’avère être l’antichambre du Jugement dernier. Le père de Laura, incestueux, y est ainsi jugé à la fin du film, dans une parodie du jugement dernier chrétien. Quant à Laura, l’innocente acculée à la décadence, elle est sauvée in extremis par un ange qui lui apparaît. Doit-on penser à une jolie morale sur l’absolution d’un Dieu indulgent et omni voyant, et donc à la montée vers les cieux de notre héroïne : parfaite copie de Breaking the Waves de Lars Von Trier où l’héroïne, innocente dans un monde sali par de basses préoccupations est emmenée au Ciel dans un concert de cloches, vision lyrique et mystique hautement émouvante ?

S’agit-il au contraire d’un simple jeu de Lynch, offrir une jolie scène finale après la vision désenchantée que déroule le film ? Le sourire béat de Laura devant son apparition mystique nous laisse pencher vers l’idée que les personnages n’ont été que des marionnettes dont les ficelles sont tirées par leurs obscures pulsions et leurs désirs sous jacents.

Titre original : Twin Peaks: Fire Walk with Me

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Durée : 135 mn


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