The Party

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Unique collaboration en dehors des « Panthère rose » du tandem Sellers-Edwards, « The Party » est une sorte d’objet magique : une perfection stylistique rarement atteinte dans une oeuvre à la fois de son temps et totalement avant-gardiste

Hrundi Bakshi, un acteur indien de seconde zone est invité par hasard chez le producteur à la soirée de fin du tournage qu’il a involontairement saccagé. Cela peut paraître concis voire bref mais c’est d’une part, sûrement la meilleure façon de résumer The Party, un festival de burlesque et d’autre part, cela rend hommage au maigre scénario d’une quarantaine de pages seulement présenté par Sellers et Edwards aux exécutive de la MGM.

Après avoir réalisé les deux premiers volets de La Panthère rose, Blake Edwards est de plus en plus intéressé à l’idée de produire un film muet ou au dialogue minimal. Il pastiche La Nuit d’Antonioni sorti en 61, pique ça et là quelques éléments à Tati et surtout fait appel à son alter ego cinématographique, son Inspecteur Clouseau : Peter Sellers dans ce qui sera l’unique collaboration entre les deux artistes hors-Panthère rose. Tant et si bien que The Party semble avoir été pensé, écrit et réalisé pour le génie comique de Sellers, ce dernier donnant libre cours à son sens aigu de l’improvisation dans les cent minutes du film. En fait, l’acteur britannique est le réel moteur du film, à Blake de le suivre avec sa caméra à travers le second personnage principal du film : la villa hyper sophistiquée où se tient la réception, parangon du kitsch des années 60 et accessoirement le décor de cinéma le plus cher jamais construit à l’époque (plus de 200 000 dollars).

Pour cela, Edwards et son équipe technique mettent au point l’assistance vidéo, système novateur pour l’époque qui permet la retransmission en temps réel sur un moniteur de ce que la caméra enregistre sur pellicule. Petite révolution dans le monde des cinéastes, les caméras vidéo – plus légères et moins coûteuses – étant seulement utilisées pour filmer la scène mais sous un angle différent de la caméra principale. Cette technique, devenue monnaie courante de nos jours, fascina Sellers dès le premier jour de tournage. L’acteur y voit là une occasion parfaite pour affiner son jeu et après chaque prise, demande systématiquement à visionner le plan tourné pour en déceler les éventuels défauts.


Une comédie aquatique

Le burlesque, que ce soit Keaton, Chaplin ou même les Marx Brothers, a toujours détourné les objets du quotidien ou utilisé les éléments dans sa scénograhie. The Party ne fait pas exception. Au centre de toute cette gesticulation, se trouve donc le pauvre Hrundi, que d’aucuns taxeraient de maladresse. Un peu distrait, peut-être, mais dont tout le malheur vient de la confrontation à un élément que ni lui, ni aucun être normalement constitué ne sauraient dompter : l’eau. Dès son arrivée sur les lieux de la fête, Hrundi, crotté de boue (mélange d’eau et de terre), tente de nettoyer son soulier en le trempant dans le bassin. Plus loin, c’est la fameuse séquence dans les WC, où notre invité doit faire face à un déchaînement liquide incontrôlable. Enfin, c’est l’explosion finale à coup d’eau et de mousse, dans un grand éclat de rire cathartique.

L’eau apparaît donc comme le moteur de toute cette succession de gags indépendants. Présente dans à peu près toutes les scènes, elle fait en outre office de fil conducteur, liant le tout et achevant, par son action, de donner une cohérence dramatique à un ensemble déjà marqué par les le huis clos et l’unité temporelle : c’est l’eau du bassin intérieur ou celle de la piscine à l’extérieur, les boissons que le serveur ne cesse de s’envoyer dans le gosier, les jets déclenchés par Hrundi au fond du jardin ou encore ceux des toilettes précédemment évoqués, et jusqu’aux larmes de Michelle (Claudine Longet) que vient sécher notre illustre invité momentanément à sec. Une façon pour Edwards d’inonder la bande-son par les écoulements, les débordements et les clapotis et d’éliminer petit à petit un ami gênant : le dialogue.

Un film muet

The Party
est à la fois un hommage et un pastiche ; hommage à PlayTime dont il est une version plus groovy et un pastiche de La Nuit d’Antonioni. En fait le but d’Edwards est double : réaliser un grand film burlesque avec le minimum de dialogues et créer une œuvre corrosive, satirique à la limite de la subversion.

On peut déceler dans The Party de nombreux clins d’œil disséminés ça et là aux films de Jacques Tati comme les objets du quotidien échappant à tout contrôle ou la voiture de Bakshi qui ressemble fortement à celle de Monsieur Hulot. Le film en lui-même pourrait être considéré comme la version longue de la séquence du restaurant de PlayTime. Mais surtout, The Party, tout comme le chef-d’œuvre de Tati, est muet. L’économie de parole prime, le slapstick est roi. Certes, il y a des dialogues mais la plupart du temps ces derniers sont insignifiants et surtout, ils baignent dans un bruissement discontinu, comme si la main du mixeur insistait sur leur vacuité. La bande-son jazzy d’un Henri Mancini semble primer aux yeux d’Edwards à ces bavardages pompeux des gens d’Hollywood. Peu ou prou de gags découlant du comique verbal donc. Même le fameux gimmick « Birdie Num Num », le plus célèbre dans le genre, est plutôt à classer dans un type de comique “sonore”, et à mettre au compte d’une panoplie clownesque basée sur les attitudes et les grimaces de Sellers. Son utilisation de l’accent indien marque bien au demeurant cette appartenance à un humour basé davantage sur le son – par sa prononciation et son claquement onomatopesque – que sur le sens, davantage attaché à l’aspect « physique » et extérieur du mot qu’à sa valeur sémantique. Un humour sonore plus visuel qu’autre chose, en somme.

Mais un retour en arrière s’impose, à l’ouverture du film pour être plus précis. Le décor n’est plus (ou plutôt pas encore) celui d’une villa californienne de luxe mais plutôt celui d’un désert dans ce qui semble être un Lawrence d’Arabie étriqué. La scène est fichue à cause de ce satané figurant au clairon. « Coupez » crie le réalisateur avant de voir le producteur s’enfermer avec une superbe blonde dans sa caravane. C’est l’heure du déjeuner : « Quarante-cinq minutes pour les techniciens, une heure pour les acteurs ». Bienvenue à Hollywood, le royaume des inégalités et du lubrique. Il faut dire que pour une comédie burlesque sans grande prétention, Edwards commence fort. Et bien évidemment, ce sont les mêmes personnes que le spectateur retrouve dans la soirée de fin de tournage la séquence suivante. Seulement un corps étranger vient de s’ajouter : celui de Hrundi Bakshi, un simple figurant venu s’inviter au banquet des stars pour mieux le détruire. Car tout ce que touche cet homme se brise, se tord ou se détraque. Les toilettes débordent, les commandes à distance s’activent par mégarde, les verres se cassent et la soirée se termine dans une orgie de mousse (comme une référence éclatante à la sexualité peu exprimée de Bakshi) et de jazz. Certains marxistes pourraient même voir dans ce Bakshi – finalement un sous prolétaire de l’art en sa qualité de figurant – l’allégorie même de la révolution prolétarienne et la destruction de l’ordre bourgeois. Mais le film se termine de manière trop joyeuse pour cela.

Il n’empêche que cette critique hilarante du cinéma des années 60, jugé désincarnée par Edwards comme les films d’Antonioni, n’a pour le moins pas été préservée par les critiques à sa sortie. Mais le temps fait son œuvre et ce chef-d’œuvre (mieux vaut appeler un chat un chat dans certains cas) de burlesque minimaliste a marqué une date dans le genre comique et sera considéré par de nombreux cinéastes comme le modèle à atteindre, de Mike Myers aux Monthy Python.

Titre original : The Party

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Durée : 99 mn


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