The Lost King

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Le cinéma regorge de chefs d’œuvre sur des personnages obsessifs qui ne reculent devant rien pour arracher la vérité à un système. Pourquoi THE LOST KING n’en est-il pas un ?

Sally Hawkins, experte en femmes discrètes depuis The Shape of Water

Philippa Langley (Sally Hawkins) a besoin de quelque chose de neuf dans sa vie. Lésée à son travail, elle doit en plus négocier les détails de sa séparation avec John (Steve Coogan), le père bougon et retenu, mais cordial, de ses deux fils. Pour ne rien arranger, elle souffre aussi d’un syndrome de fatigue chronique, une condition que son entourage ne prend pas toujours tout à fait au sérieux. The Lost King, dernier film en date de Stephen Frears, fait le choix judicieux de commencer le récit en nous mettant dans la perspective du personnage. En effet, interprétée avec patience et délicatesse par Hawkins, la protagoniste a une vraie intériorité qui est le point fort du film. On prend plaisir à passer du temps avec cette créature faite d’assemblages de vestes, de cardigans, de gilets, de chandails et de chemises de pyjama. On découvre qu’elle se pose des questions : quelle est la place d’une femme d’âge mûr, dans une société qui la tient pour acquise ? Comment peut-elle mener une vie excitante dans un monde qui attend d’elle qu’elle soit casanière, maternelle et assagie ? Et comment peut-elle se donner le droit d’avoir des ambitions, si toutes les personnes qu’elle connaît la poussent à des abus de prudence ?

Un soir, au théâtre, Philippa se découvre une irrépressible solidarité avec le Roi Richard III. Elle le trouve injustement diabolisé, marginalisé par l’Histoire – et par Shakespeare dans sa pièce. Alors, petit à petit, une mission se dessine : celle de retrouver la dépouille du monarque, perdue dans une tâche aveugle archéologique depuis des siècles. Aussi, le film, inspiré de faits réels, est moins un récit d’investigation que d’accomplissement personnel. Le ton de la quête dans laquelle se lance l’héroïne (et c’est bien le mot, tant elle semble pure), est celui de la bande originale gracile d’Alexandre Desplat. C’est celui de la photographie solaire et sans chichis de Zac Nicholson.

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(Trop) jouer de la fibre fantaisiste anglaise, (trop) vite s’émerveiller

Quand Philippa glane des informations et des pistes dans les paysages touristes-compatibles de Leicester, on se dit que le film a quelque chose d’une certaine littérature jeunesse britannique – Son sens de la curiosité, le même que celui des premiers Harry Potter. On s’y interroge, on s’y fascine. On s’aventure là où on ne devrait pas vraiment s’aventurer, mais on ne s’y perd pas. Le film a des ambitions modestes. Mais s’il les remplit toutes parfaitement, le spectateur s’attendra sans doute à un peu plus. Un peu plus de cynisme, notamment.

L’un dans l’autre, The Lost King ne manque pas de bonne volonté. La thématique qu’il aborde est actuelle : Les femmes anxieuses et éconduites comme Langley existent réellement, et Hawkins leur rend justice, jouant habilement des veines de son cou et des creux de son visage pour tout dire de leur force discrète. Malgré tout, l’ensemble pêche par excès de convention. On peut se dire que c’est dommage, mais on ne s’attendait pas à autre chose de Frears ou des deux coscénaristes qui lui avaient déjà écrit Philomena en 2013. L’un d’eux n’est autre que Steve Coogan. Plus souvent acteur qu’auteur, Coogan livre effectivement plus de nuance dans son jeu qu’il n’y en a dans l’écriture. Sa performance est contrôlée.

La relation qui lie ces Mr et Mme Tout-le-monde anglais est pleine d’amitié et de vécu ; elle est calme, mais pas édulcorée : John doute de Philippa, ne sait pas quoi faire de son obsession nouvelle pour cet aristocrate disparu. Ces deux personnes s’entendent bien, mais ont des besoins différents, ont envie de nouvelles choses. Le spectateur comprend donc toujours pourquoi ils se sont séparés.

Du cinéma royaliste à regarder à l’heure du thé

L’idée de céder à des désirs changeants est esquissée – John a déjà une nouvelle petite amie – mais elle n’est jamais explorée comme elle l’aurait mérité. Plus tôt que tard, Philippa va se mettre à avoir des visions (Harry Lloyd) de Richard III, qui lui apparaît sous une forme digne et peu bavarde. On comprend qu’il est censé y avoir une certaine tension dans cette relation fantasmée. Le roi est cependant bien lisse, jamais vraiment plus qu’une belle image ; pas beaucoup plus animé qu’une huile sur toile le représentant.

Dans une scène, Philippa dit vouloir réhabiliter Richard non pas comme une icône infaillible mais comme un homme complexe. Son Richard imaginaire semble pourtant parfait ! Et très vite, on se rend compte que le long-métrage se caractérise par deux choses. Le côté naïf, en premier lieu. Malgré les efforts de tous les comédiens, les personnages semblent éloignés de ce que le public sait du monde adulte. Entre ses propres enfants et une scène avec une classe de primaire, Philippa glisse parfois trop vers l’univers de la candeur. La tentation hagiographique, en second lieu : Il n’est en effet pas difficile de comprendre ce qui attire Stephen Frears dans l’histoire de Langley. Tous deux passionnés par l’institution royale, ils n’imaginent pas le monde sans une certaine déférence à la monarchie anglaise. Et si, dans The Lost King, Langley réinvente Richard III en souverain modéré et patient – Ses recherches, au final une véritable profession de foi –, on se souvient également de The Queen, dans lequel Frears comparait l’Elisabeth II de l’Angleterre post-Diana à un majestueux cerf.

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Durée : 109 mn


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