S’il a bien été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, The Florida Project est assez caractéristique du Sundance festival duquel a émergé Sean Baker. Le film coche toutes les cases : mise en lumière d’une communauté américaine marginale, omniprésence d’une naïveté constamment contre-balancée par la dureté sociale du tableau dressé. The Florida Project est un film à charge sur les ruines désolantes d’une crise des subprimes qui a poussé bon nombres de foyers vers la sortie (ici, vers des motels où s’entassent les plus fragiles). Ruines que les enfants de Baker n’attendront pas, d’ailleurs, à enflammer, histoire de foutre le feu aux conneries des parents.
Venant de Sean Baker, que l’on connaît surtout pour son dernier shoot d’adrénaline Tangerine, le sujet de The Florida Project n’a rien de surprenant. Ce qui l’est plus, c’est la forme qu’il emprunte, en opposition totale avec son dernier film tourné à l’iPhone et qui avait fait sensation (notamment) pour cette raison. Ici, plus de portable fixé au bout d’un stabilisateur mais bien un 35mm beaucoup plus posé et reposé. Et qu’on se le dise : Baker gagne clairement en clarté en adoptant une forme beaucoup moins sauvage, et, aussi, beaucoup moins sensationnaliste.
The Florida Project n’est, au-delà de ça, ni une révolution ni une claque. Baker s’est simplement calmé, a disposé de plus de moyens, a étoffé son casting et s’est concentré, pour le meilleur, sur le décor – incroyable – plus que sur ses personnages, déjà tous croisés quelque part (à Sundance ou ailleurs). Et c’est dans les façades grotesques des motels, supermarchés et autres temples de la consommation que Baker trouve sa matière la plus intéressante. Petit à petit, au gré des pérégrinations de ces jeunes enfants filmés à leur hauteur, c’est l’Amérique dans toute sa gloutonnerie aveuglante qui jaillit à l’écran, en rose, en orange ou en mauve.
On découvre alors, derrière la bienveillance assez molle du récit, une tapisserie grotesque en arrière plan. The Florida Project n’est pas un film « Disney », mais plus un film « Kodak » qui trouve, dans le format pelliculaire, un sens : celle d’une nostalgie dépassée virant au fétichisme, qu’on a du mal à abandonner. Ici, la dite nostalgie est ce rêve de gosse qu’est le rêve américain, par essence immature et utopique (et que Trump, figure grand-guignolesque, continue de tourner en parodie), et qui se place ici derrière la décrépitude de marginaux qui se prostituent pour joindre les deux bouts. Mais, dans le même temps, on sent bien que les figures de l’imaginaire Disney hantent le cinéma de Baker. Ce dernier ne peut se résoudre à descendre totalement ce rêve (américain) au point, même, d’y retourner une dernière fois.