Take Shelter

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Jeff Nichols vous souhaite une douce et joyeuse année avec une somptueuse oeuvre sur l’angoisse et la fin du monde.

Le champagne coule à flot, les cotillons s’éparpillent sur le sol, les premiers textos inutiles et insignifiants sont envoyés, c’est l’heure de se souhaiter une heureuse année 2012. Pour certains, le passage à cette nouvelle année correspond à de nouvelles résolutions improbables ou à un espoir purificateur d’un possible bonheur, pour d’autres 2012 est avant tout symbole de fin du monde. Que l’on soit maya ou simple abeille, la terrifiante issue annoncée de notre merveilleuse planète bleue inspire autant les illuminés que les auteurs de cinéma. Après Melancholia de Lars Von Trier et Le Cheval de Turin de Béla Tarr, c’est Jeff Nichols qui scrute de près cette menace apocalyptique à travers le prisme d’un père de famille sujet à d’imposantes angoisses.

Michael Shannon interprète de manière magistrale (et inquiétante) un ouvrier aux hallucinations cycloniques dont l’esprit s’immisce progressivement dans une angoisse intérieure lente et obsessionnelle au point de se décider à construire un mystérieux abri atomique dans son jardin pour y réfugier sa femme et sa fille quand les nuages deviendront noirs et que les oiseaux tomberont du ciel. L’entente entre le réalisateur et son comédien principal est telle qu’elle envahit l’image autant que notre pensée. Nichols montre cette ambiguïté impitoyable d’un homme qui ne peut s’empêcher de faire vaciller son monde dans l’unique but salvateur de protéger les siens. Sa peur le forcera malgré lui à s’éloigner de sa femme, perdre ses amis et l’honneur qu’il incarnait jusqu’à présent. C’est tout simplement la déchéance psychologique d’un honnête homme que Nichols réussit à développer en filmant graduellement son évolution mentale vers la folie. Mais entre les psychologues incapables de sentir l’intérieur de sa pensée et cet objectif imperturbable de vouloir à tout prix se protéger, il nous place dans ce doute étrange : ce personnage est-il un fou ou un héros ?

En face de cet homme s’isolant du monde pour mieux anticiper sa fin, il y a une femme déconcertée, en colère mais intriguée apportant un accompagnement proche de la grâce notamment dans la dernière partie du film se déroulant principalement dans cet abri fermé irrespirable mais protecteur. Et qui de mieux pour interpréter avec justesse ce personnage féminin que Jessica Chastain ? Avec The Tree of Life et Take Shelter, elle a sublimé le dernier Festival de Cannes (Palme d’Or pour l’un, Grand Prix de la Semaine de la critique pour l’autre) et montre qu’elle maitrise secrètement chaque petite subtilité de l’être humain. L’isolement de l’angoissé est méthodiquement maitrisé. Cet homme semblant perdu, habité par une pensée unique, s’échappe du monde dont il imagine la fin en imaginant les nouvelles fondations de son esprit par la construction de cet abri représentant à la fois sa perte et sa renaissance. Nichols réussit à instaurer la communication de l’angoisse, la transmission de la peur et la puissance des liens familiaux par une dernière image déconcertante à la fois dans l’esprit de ses personnages mais aussi dans celui du spectateur. Take Shelter est une oeuvre qui s’installe dans notre pensée, l’interroge, l’interpelle et l’illumine. Si l’année 2012 est la dernière alors elle commence bien.

Titre original : Take Shelter

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Durée : 120 mn


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