Sous la ville

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Ambitieux et creux, cet ixième volet sur la Shoah d’Agnieszka Holland séduit par ses prouesses techniques mais anesthésie par son traitement superficiel.

Il y a quelques mois, Sous la ville disputait l’Oscar du meilleur film étranger, remporté aisément par Une séparation d’Asghar Farhadi. Ce n’est cependant pas par son sujet oscarisable que le film parvient à plaire mais par sa forme, parfois entêtante. Dès les premières minutes, le décor est planté. Derrière les arbres, par intermittence, filent des femmes nues aux corps blancs presque vitreux, silhouettes évanescentes annonciatrices de l’horreur à venir. Puis brusquement : des coups de feu, des cadavres. Chez Agnieszka Holland, la beauté se mêle souvent à l’effroi.

Tiré d’une histoire vraie comme se plaisent à le rappeler l’affiche et le carton introductif, Sous la ville est le symptôme d’un cinéma en quête de légitimité et d’identité, qui semble chercher sans relâche à nous détourner de lui-même. Ses images, splendides mais inhabitées, ses personnages, engageants mais laissés en friche, ne cessent d’entretenir ce sentiment. Le film suit le destin du ghetto de Lvov, en Pologne. 1944, les nazis décrètent l’épuration. Une poignée d’habitants réussit à échapper au massacre en passant par un trou creusé sous une maison. Ils se réfugient bientôt dans les égouts de la ville, où ils tombent nez à nez avec Leopold Socha, un employé pour qui les ramifications de ces souterrains n’ont pas de secret. Moyennant une somme d’argent, ce dernier va accepter de les dissimuler et leur apporter des vivres. C’est l’existence et la tentative de survie de ces hommes et femmes dans la pénombre et l’humidité des égouts mais également celle de leur bienfaiteur, cambrioleur métamorphosé par la force des choses en héros, que relatent Sous la ville.

Des trous de souris…

Malgré son intrigue prometteuse aux faux airs de Liste de Schindler mâtiné de Maus d’Art Spiegelman, ce long métrage ne réussit jamais vraiment à retenir l’attention, sinon grâce à quelques séquences maîtresses parmi lesquelles l’éblouissant assaut du ghetto. Passée la première demie heure tapi dans les alcôves nauséabondes des égouts de Lvov – et ce en dépit d’une étonnante mise en scène de l’obscurité, véritable défi technique exécuté avec seulement quelques torches -, les allées et venues de Sosha (brillamment interprété par Robert Wieckiewicz) et le dépérissement des fugitifs finissent par lasser. Tant et si bien que les péripéties du scénario, riches en anecdotes, s’enchaînent sans captiver. Sans doute l’obsession maladive de la réalisatrice à rendre visible l’invisible, à dévoiler ce que cache la noirceur des sous-sols de la ville aura absorbé toute la substance qui aurait pu faire de Sous la ville un film équilibré, voire réussi.

 

Agnieszka Holland avait pourtant fait preuve d’acuité avec Amère Récolte (1985) et même de justesse avec Europa Europa (1990) pour dénoncer la barbarie de la Shoah. Et si l’on retrouve par instant dans Sous la ville leur parfum de calomnie – la mise en lumière de la responsabilité de la Pologne dans le génocide -, il manque un regard transversal, cette dimension réflexive qui aurait permis à l’ensemble de dépasser le stade de simple exercice. À trop vouloir prendre à témoin ses spectateurs, à s’évertuer à leur faire ressentir le moindre relent putride émanant de ces ténèbres clandestines – et ce sans pour autant recourir à l’emphase -, Holland compromet le cours du récit. Ce qui n’empêche pas Sous la ville de fasciner de manière fugace, en abordant notamment la sexualisation des captifs, ces corps frêles et émaciés à la Gustav Klimt dont le souffle vie n’est plus perceptible que dans les ébats amoureux. Tandis que la peur supplante l’espoir, la nécessité du contact physique et de l’affection sont plus irrépressibles que jamais.

S’il est finalement un mérite à Sous la ville, c’est bien d’être parvenu à nous propulser l’espace d’un instant dans la nuit interminable et incertaine des égouts de Lvov. Dommage toutefois que cet éclat, sitôt achevé, ne s’ensevelisse si rapidement sous le poids de ses ambitions.
 

Titre original : In Darkness

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Durée : 145 mn


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