Soul Kitchen

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Le couple, la musique et le restaurant. « Soul Kitchen » est une comédie aussi foutraque qu´élégante, un vent frais balayant avec impertinence les mornes comédies bourgeoises en appartement.

Dans la banlieue de Hambourg, le jeune restaurateur Zinos fait vivoter le Soul Kitchen, restaurant installé dans un vieil hangar désaffecté, comptant sur une clientèle d’habitués peu regardante sur la qualité de la nourriture. Mais voilà, sa petite amie doit partir travailler en Chine. Mais voilà, son frère, voleur professionnel sort un beau jour de prison et lui demande de l’aide. Mais voilà, Zinos se découvre une hernie discale et n’a pas de sécurité sociale. Mais comme Soul Kitchen est une comédie, les rebondissements pleuvent et c’est bien normal. C’est surtout très réussi.

Le début du film n’est pas sans évoquer le foutraque Kebab Connexion d’Anno Saul en 2005, dont Fatih Akin était le scénariste. Les personnages, assemblés autour d’un lieu social déterminant, fourmillent et se dépatouillent avec leurs problèmes personnels, souvent sentimentaux, mais aussi pas mal d’ordre matériel. Ici, la persévérance un peu risible du personnage principal construit la trame scénaristique : d’une part les mésaventures sentimentales de Zinos, et de l’autre les conséquences de sa rupture sur la gestion de son restaurant. Les employés du Soul Kitchen sont liés au lieu, et la bonne santé financière du restaurant répond par exemple à un embellissement des relations entre les personnages.

Le film est une comédie hybride, empruntant avec précision les ingrédients de la screwball comedy américaine, mais se réclamant aussi d’une certaine tradition burlesque, où les personnages gaffeurs et désordonnés se démènent avec leur incapacité à se faire comprendre. Le mouvement et l’énergie semblent avoir été le maître-mot de la réalisation de Fatih Akin.

Les personnages sont les vecteurs de cette vitalité : Zinos tout d’abord, à la gestuelle agitée, qui se débat contre ses problèmes avec force et fracas, amoureux d’une femme un peu froide, un peu indifférente, un peu trop bien pour lui, qui met son restaurant de côté pour aller la rejoindre en Chine. Le cuisinier Shayn, grand chef vagabond devenant maître à manger du peu gastronomique Soul Kitchen, hurle, lance des couteaux, refuse de cuisiner de la friture et boit plus que de raison ; l’excentrique vieillard qui squatte le hangar jouxtant le restaurant, polissant une barque depuis des lustres et refusant de payer son loyer. Ou encore Lucia, jeune serveuse, branchée, jolie et mystérieuse, est un personnage féminin doté d’assez de caractère et de volonté pour exister dans le film, quand même majoritairement masculin.

De courses-poursuites, en irruption dans un enterrement, de cambriolage raté, jusqu’à l’appartement brûlé, point d’orgue d’une destruction jubilatoire, le cinéaste déploie un scénario précis et extrêmement efficace. Lors de quelques scènes de soirées au Soul Kitchen, pour un temps repeuplé par la jeunesse, le cinéaste opère un montage très pop, sur-dynamisé par l’excellente bande-son soul et funk, et nous prouve qu’il peut, avec une certaine aisance, offrir aux spectateurs un pur moment de liesse cinématographique. La générosité du film, la manière dont les péripéties s’enchaînent avec fluidité, leurs originales incohérences, semblent découler de leur statut quasi-biographique. L’acteur principal tenait effectivement un restaurant à Hambourg il y a peu, et Fatih Akin a souffert d’une hernie discale à la fin du tournage de Head-On : il a consulté un médecin surnommé le « broyeur d’os » qui inspira celui que va voir Zinos à la fin du film.

Le cinéaste turco-allemand laisse tomber le temps d’une escapade ses interrogations graves et introspectives sur l’immigration, le couple, ou la question de la double identité (Head-On, De l’autre côté). Son cinéma, profondément européen, montre ici un versant naturellement riche et évident, dépourvu de problématique : un quartier populaire de Hambourg, où les personnages, de divers milieux et origines sociaux cohabitent, point. Le réalisateur, encore jeune, semble s’offrir la récréation de filmer sa famille d’acteurs en grande forme.

Une pause donc, un détour par le genre « mineur » de la comédie, mi-hommage au cinéma américain, mi-cri d’amour à la musique soul (on savait le réalisateur passionné par la musique depuis Crossing the Bridge – The Sound of Istambul), mais surtout le rappel que Fatih Akin est un réalisateur capable de faire une grande comédie.

Titre original : Soul Kitchen

Réalisateur :

Acteurs :

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Durée : 100 mn


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