Silhouette court toujours !

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Le Festival Silhouette célèbre ses dix ans et continue de soutenir le court métrage. Malgré une édition inégale, un rendez-vous agréable.

Pour les habitués, le Festival Silhouette s’impose désormais comme un rituel, scellant la fin de l’été et la rentrée des classes. Fin août – début septembre, une période idéale pour une manifestation en plein air : la météo se montre (plutôt) clémente, les vacanciers sont revenus en ville, les travailleurs n’ont pas (tous) encore repris. Pendant neuf jours, le parc des Buttes Chaumont accueille un public nombreux, massé devant un grand écran gonflable. Au programme : une compétition internationale de courts métrages, aux genres et formats très divers. Six films chaque soir, précédés d’un concert en apéritif, dans un cadre agréable et bucolique. Les spectateurs peuvent ainsi découvrir gratuitement des œuvres confidentielles, rarement diffusées hors du circuit festivalier. Depuis dix ans, l’association Silhouette, composée uniquement de bénévoles, défend cette production fragile, menacée par une économie toujours en quête de rendement immédiat.

Le cru 2011 laisse pourtant un sentiment mitigé, avec une sélection en demi-teinte. Le menu concocté par l’équipe suit un modèle parfois trop routinier, alternant drame réaliste, essai visuel ou pastille animée. Ce mélange systématique fonctionne comme une assiette anglaise, où chaque film remplit sa case : documentaire, clip, expérimental… Par ailleurs, certains courts métrages demeurent très formatés, cachant leur manque d’originalité derrière un ton « juste » et une fausse modestie. Le palmarès traduit aussi une prise de risque limitée : en retenant Diane Wellington d’Arnaud des Pallières ou Le Marin masqué de Sophie Letourneur, le jury récompense des auteurs confirmés, déjà passés au long. Ces films, tout comme Un monde sans femmes de Guillaume Brac, circulent partout, raflant les prix et les honneurs : le festival Côté Court à Pantin a par exemple rendu un verdict très similaire en juin dernier. 

 

 

Diane Wellington (Arnaud des Pallières)

Le Marin masqué se présente comme la chronique amusée de filles d’aujourd’hui, avec ses aventures à deux sous, ses voyages à Quimper et ses questions métaphysiques (« Pourquoi on n’a pas pris la serviette Mickey ? ») Narré à deux voix, un commentaire ironique retrace cette épopée banale « dans tous ses détails ». Après La Vie au ranch, Sophie Letourneur vise toujours le portrait générationnel et l’instantané d’une époque, avec son langage actuel, ses innombrables « Ben ouais » et ses expressions chic et choc (« J’avais la gueule dans le cul, j’avais pris trois Lexo la veille… ») Résultat : le film repart avec un Prix du public qui n’étonne guère, un an après le plébiscite obtenu par Donde està Kim Basinger ? d’Edouard Deluc. Ces deux moyens métrages dessinent un parallèle troublant : road-movies entre potes (version masculine ou féminine), poursuite d’un amour mythique (Kim Basinger vs. Le Marin masqué) finalement dérisoire… Les canons de cette nouvelle esthétique pourraient se définir ainsi : noir et blanc stylé, musique « cool » et hymne à la glande… Pas sûr que cette veine constitue un horizon très exaltant.

 
Un monde sans femmes se révèle quant à lui assez mou, démarrant comme du Jacques Rozier (une virée en station balnéaire, deux femmes papillonnant autour d’un héros maladroit) pour échouer bien vite sur les rives plates du réalisme à la française, proche d’Angèle et Tony. Etirant un scénario prévisible, le film ne rate aucun poncif : drague en boîte de nuit, hésitations entre les draps, silences éloquents et forcément pleins de tact, jusqu’à l’inévitable chanson jazzy qui clôt le récit sur une note douce-amère. Diane Wellington s’envole vers d’autres cimes et propose une belle et triste rêverie visuelle. Arnaud des Pallières crée un montage poétique à partir d’images d’archives, ponctuées par de sobres cartons qui racontent une histoire douloureuse : le destin tragique d’une adolescente, mystérieusement disparue dans le Dakota du Sud des années 30. Accompagné d’un piano mélancolique, ce film sans parole joue habilement de l’image et du son pour créer une atmosphère lyrique. 
 

 
 
 Pour toi je ferai bataille (Rachel Lang)

Plus discrets, quelques courts métrages affichent un vrai regard, refusant de prendre la pose ou de séduire par des effets tendance. Parmi les réussites, Pour toi je ferai bataille, qui retranscrit le quotidien de jeunes femmes engagées dans l’armée. Rachel Lang dirige ses comédiennes avec un naturel parfait et organise de longues séquences à la fois ritualisées et très vivantes : l’inspection des chambrées, le chant militaire autour de la table… La cinéaste donne corps à des personnages insaisissables, sans trop forcer sur les explications sociales ou psychologiques. À signaler aussi, l’excellent Colivia d’Adrian Sitaru, qui prouve une nouvelle fois l’inaltérable santé du cinéma roumain. En moins de vingt minutes, le réalisateur développe une situation minimale et analyse ses répercussions : un enfant recueille un pigeon malade, l’installe sur le balcon et demande à son père de lui acheter une cage pour le protéger. Par touches discrètes, le récit se déplace en permanence et l’anecdote se mue en réflexion légère sur la famille et ses rapports flottants.

L’enfance occupait d’ailleurs le cœur de nombreux films, comme si cette tranche d’âge éphémère se prêtait idéalement au format court. Flanqués d’un père énigmatique (The Strange Ones de Lauren Wolkstein et Christopher Radcliff), d’une mère actrice porno (Viki Ficki de Natalie Spinell), quand ils ne font pas la navette entre les deux (Le Petit chevalier d’Emmanuel Marre), les gamins constituent pour les cinéastes un point d’interrogation fascinant. L’adolescence s’impose aussi comme un sujet fétiche, notamment chez Ashlee Page (The Kiss) ou Spike Jonze (Scenes from the suburbs). La palme revient à Jeunesses françaises de Stéphan Castang, qui confronte une série de lycéens à un conseiller d’orientation acerbe et provocateur. Ecrit et tourné avec les élèves, le film enchaîne les interrogatoires en gros plan pour mieux saisir les craintes et les désirs de ces garçons et filles avant leur transformation impitoyable en machine de travail. Le duel, souvent comique, débouche sur une rébellion politique certes attendue, mais plutôt jouissive.

 

 

 
Pandore (Virgil Vernier)


La section documentaire offrait quelques bons moments : citons Vakha i Magomed de Marta Prus, qui s’attache à la relation touchante entre un père et son fils, immigrants tchétchènes vivant dans un camp de réfugiés en Pologne. Le jury jeune a primé le très graphique Il Capo de Yuri Ancarani, qui élève un chef de chantier à la dimension d’un dieu tout-puissant, régnant sur une vaste carrière de marbre, au sommet d’une chaîne de montagnes. Pandore de Virgil Vernier (co-auteur de Commissariat, sorti en novembre 2010) fixe sa caméra devant l’entrée d’une boîte de nuit et condense toute une comédie humaine, placée sous l’égide de La Bruyère : « La ville est partagée en diverses sociétés, qui sont comme autant de petites républiques qui ont leurs lois, leurs usages, leur jargon et leurs mots pour rire. » Sans autre commentaire, le réalisateur saisit le comportement d’un physionomiste qui s’improvise petit chef, accepte ou refoule les clients selon son bon plaisir. Le film impressionne par sa durée, déclinant la même scène, avec ses multiples variations, jusqu’à la nausée. Ce témoignage violent, rempli de phrases assassines, met en relief tensions sociales et attrait du pouvoir.

Pour sa dixième édition, le Festival Silhouette organisait des séances payantes au Centquatre, diffusant une trentaine de films montrés lors d’années précédentes. L’occasion de mesurer le chemin parcouru par l’association, qui présente aujourd’hui un catalogue bien fourni et une solide réputation. Si la programmation gagnerait sans doute encore à s’affiner, son existence n’en demeure pas moins nécessaire et son projet hautement recommandable.

 


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