Sans retour

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Flirtant avec le fantastique, Walter Hill signe un survival poisseux au coeur du bayou, allusion à peine voilée à l’absurdité de l’intervention américaine au Viêtnam

« Wish I was back on the bayou » chantait Creedence Clearwater Revival en 1969. Tout l’inverse de Walter Hill qui fait de ces marécages louisianais un enfer boueux et labyrinthique dont les protagonistes de son film tentent en vain de s’échapper. Effectuant un exercice de reconnaissance dans la région, neuf hommes, réservistes de la garde nationale,  pris au piège d’une nature hostile, se retrouvent traqués par quelques autochtones cajuns après leur avoir tiré dessus à blanc. Sans munitions, en proie à des dissensions intestines, ils vont devoir faire face à un ennemi quasi invisible et lutter pour leur survie.
Solide artisan d’un cinéma plutôt musclé, Walter Hill livre avec Sans retour (Southern Comfort pour la version originale, du même nom que le bourbon originaire de La Nouvelle-Orléans) un survival injustement méconnu qui a longtemps souffert de la comparaison trompeuse avec Délivrance (1972), son illustre prédécesseur devenu au fil du temps LA référence en la matière. Mais quand John Boorman opte pour une analyse pessimiste de la civilisation et de la nature humaine, Hill préfère faire allusion de manière détournée à la guerre du Viet Nâm sans jamais toutefois la citer. Et si le film a bien été tourné en 1981, le réalisateur choisit symboliquement de situer son action en 1973, à la toute fin du conflit. Sans retour se révèle effectivement une allégorie sombre et efficace de la guerre en disséquant de façon clinique les rapports de force au sein de la troupe, l’engrenage conduisant aux pires exactions et la progression des soldats vers un point de non retour, justifiant le titre français pour une fois bien mieux approprié. La férocité guerrière s’y déploie dans tous ses aspects, avec une noirceur qui renvoie douloureusement dos à dos la cruauté des tortionnaires et le ridicule des velléitaires. L’ennemi est tout à la fois extérieur et intérieur, symbole d’une Amérique rongée par les doutes et les contradictions.

Là où Délivrance adopte une approche réaliste, Walter Hill laisse dériver son film aux lisières du fantastique, rappelant à certains moments Le Convoi de la peur (William Friedkin, 1977) et offre au spectateur une pure expérience de mise en scène, viscérale et paranoïaque, qui culmine dans le dernier acte totalement hallucinant (où le génie du montage alterné évoque Peckinpah). Le danger vient autant d’une violence humaine à contrer, que d’un environnement à dompter et à dominer. La mise en scène de l’espace est donc d’une importance primordiale, une base sur laquelle reposent plusieurs films de Hill. De l’espace urbain pour son précédent long métrage Les Guerriers de la nuit (1979), il passe ici à un espace sauvage et quasi vierge.

La forêt, monotone, interminable, labyrinthique, possède une force d’abstraction, une puissance hallucinatoire hors du commun. Les arbres, énormes barreaux végétaux d’une prison naturelle enserrant les personnages dans le cadre, sont les instruments de dissimulation permettant aux Cajuns d’attaquer par surprise les militaires. En effet, l’ennemi, à l’instar de celui du Viet Nâm, est invisible et utilise l’élément naturel à merveille. Un climax est atteint lorsque la poignée de survivants se voit poursuivie et presque encerclée par la chute successive de ces arbres gigantesques, paraissant animés d’une volonté solidaire pour écraser les intrus. La réalisation suit la déchéance des soldats, englués dans le bayou, avalés par lui à l’occasion. La verticalité du lieu peut s’exprimer de manière non plus ascendante, comme c’est le cas avec la forêt, mais descendante. Comme lors d’une séquence, assez glaçante, qui voit l’un des personnages pénétrer dans des sables mouvants et s’enfoncer lentement dans le sol jusqu’à la disparition totale. En insistant sur la mort lente du militaire, le réalisateur filme le mouvement de cette mort, un mouvement emmenant la victime du sol vers ses tréfonds.

 » Campana, je m’enfonce ! « 

À l’instar des deux seuls militaires survivants à l’issue du périple, nous n’en sortirons que pour tomber dans une nouvelle souricière : le village cajun, sorte de refuge salvateur, paisible et festif en apparence (les personnages arrivent pendant une kermesse), qui devient finalement le lieu le plus dangereux du film, obligeant les deux hommes à affronter leurs ennemis plutôt qu’à les fuir.  Le dernier plan sur un véhicule de l’armée américaine signifie peut-être la fin du calvaire. Peut-être, car jamais nous ne verrons le conducteur de la Jeep, induisant cette question : les militaires du film sont-ils les premiers à se faire piéger ? L’ultime regard que se lancent Powers Boothe et Keith Carradine et qui semble simultanément refléter l’incrédulité et la peur, achève de rendre le final du film définitivement ambigu sur le sort post-narratif des deux personnages.

Servi par la musique langoureuse, roots et blues de Ry Cooder, pas encore fameux pour sa mythique B.O de Paris, Texas (Wim Wenders, 1984), et par l’interprétation carrée et pénétrante de la brochette de gueules réunies dans ce marigot (pêle-mêle Powers Boothe, Keith Carradine, Fred Ward ou bien encore Peter Coyote), le film développe en tout cas ses ambiguïtés sans faillir, débarrassé de toute fioriture et parasitage. L’indéniable talent de Walter Hill, maîtrisant ses dispositifs filmiques avec une maestria épatante, révèle par là même un grand théoricien de la mise en scène. Ce cinéaste sous-évalué se doit donc d’être redécouvert.

Titre original : Southern Comfort

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Durée : 99 mn


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