Road to Nowhere

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Un film à la beauté fragile, marquant l’humble retour, après vingt ans d’éclipse, de l’auteur de « Macadam à deux voies ».

D’évidence, quelque chose manque au premier film de Monte Hellman depuis plus de vingt ans. Peut-être une « histoire » digne d’intérêt, sinon une « action » se détachant durablement, se matérialisant. Reconnaissons que cette intrigue réunissant un cinéaste, son équipe et une jeune comédienne se révélant être finalement un peu plus que son rôle, si elle ne manque pas de faire penser par certains aspects à la première partie de Mulholland Drive, est très loin d’en égaler l’ambiguïté, la perversité sous-jacente. Road to Nowhere n’est en effet pas un film passionnant, tout du moins pas si l’on s’obstine à en attendre une moindre surprise, quelque chose d’un peu exceptionnel. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à y voir, qu’il serait un film pour rien ni personne (pour cela, il faut emprunter une autre route, ne menant elle en effet, quoi qu’annonce le titre, vraiment nulle part, si ce n’est au constat de la perdition artistique de son auteur : celle de Somewhere de Sofia Coppola).

Nowhere/Somewhere… Il semblerait que le cinéma d’auteur indépendant du moment soit en tout cas en recherche d’une place, de la scène la plus susceptible d’accueillir ses micro-récits existentiels. Mais là où Johnny Marco, l’acteur passif de Coppola, ne s’offrait comme davantage que le miroir d’un possible désarmement – celui de la cinéaste face au « devoir » de réaliser un film de plus –, Mitchell Haven, le cinéaste-personnage de Road to Nowhere, est au moins le support d’un vrai désir. Celui – humble et touchant – de Monte Hellman de filmer une jeune actrice admirée : la sublime Shannyn Sossamon, découverte dans Les Lois de l’attraction de Roger Avary (2003). Voyez seulement l’affiche du film, extraite d’un plan dont on taira l’emplacement dans le récit, tout en précisant qu’il n’est autre qu’un « rosebud » assumé (n’est-ce d’ailleurs pas déjà vendre la mèche ?), celui des deux cinéastes. De Haven qui, partant d’une embauche toute officielle de Laurel, ne tardera pas à la mettre dans son lit. De Hellman lui-même. Où s’affirmerait qu’effectivement, filmer des jolies femmes demeure le risque, pour l’homme à la caméra, de faire du film davantage un prétexte qu’un cadre, une projection fantasmatique qu’un art.

Cette élection d’une figure unique et essentielle est précisément ce qui rend Road to Nowhere finalement assez beau, envoutant presque malgré lui. Qu’importe le jeu d’abyme faisant plus ou moins correspondre l’art et la vie, se répondre la fiction et son tournage. Ce qui compte, ici, c’est la pure et simple visibilité des choses, la transparence absolue d’un monde d’office préservé de tout mystère. Transparence résultant à la fois de la trame très linéaire du scénario et de l’emploi en guise de caméra d’une petite machine qui monte : le Canon 5D Mark II, appareil photo haute définition. Le film ne sera jamais le récit d’une révélation, d’un retournement, d’un quelconque flottement du sens. Mitchell Haven – initiales M.H… so what ? – n’est porteur d’aucune quête, ne sera – bien que s’imposeront à lui les motifs du double, de la femme perdue – victime d’aucun autre complot que celui de l’envoûtement innocent de Laurel, sur laquelle seul un troisième personnage fera planer un semblant de soupçon.

Du cinéma de pur filmage, donc, simplement « réalisé », avec les moyens du bord (Hellman insiste dès les premières pages de Sympathy for the devil sur la place primordiale de ses étudiants de CalArts, l’école d’art où il enseigne le cinéma, dans la concrétisation du projet). Ne s’est peut-être jamais posé que cette question, depuis le départ, au sujet du réalisateur de Macadam à deux voies (1971), film dont nul n’ignore la ligne d’arrivée – et brûle la pellicule, se consume l’action, le cinéma lui-même : la transparence du dispositif filmique, l’extrême honnêteté du cinéaste quant à sa méthode, aux rouages de son métier. Le relatif ennui, la presque indifférence accompagnant le visionnage de ce dernier film équivaudrait même à un nouveau point de départ, envers ici encore des impasses de la dernière Sofia Coppola, feignant d’enregistrer autre chose que ce qui de toute manière n’a cure de sa présence. Le presque rien, dans Road to Nowhere, est moins symptomatique d’un renoncement que d’une extrême disponibilité (des corps, des lieux, de l’objectif). Où le cinéma s’affirme comme éternel projet, événement se nourrissant plus que jamais de sa propre attente.

Titre original : Road To Nowhere

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Durée : 121 mn


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