Rétrospective Johnnie To à la Cinémathèque

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A partir de ce mercredi 5 mars, le réalisateur hong-kongais Johnnie To, présent pour une rencontre très attendue avec le public français, est à l´honneur. La Cinémathèque propose une sélection de longs-métrages tirés d´une filmographie où le meilleur côtoie …le plus anecdotique.

Johnnie To a eu souvent l’occasion de faire parler de lui ces derniers mois. Mad Detective, qui sort cette semaine, est son cinquième film en moins d’un an et demi à atteindre les salles françaises ! Et encore, on oublie les inédits qui sortent en dvd régulièrement… Nul besoin de revenir encore sur le parcours inattendu de ce modeste artisan devenu le chef de file du cinéma de la péninsule (voir pour cela notre dossier consacré à Triangle). La rétrospective proposée par la Cinémathèque Française permet surtout d’y voir plus clair dans la filmographie du scénariste, producteur et réalisateur.

Car avant d’être un artiste aux mains libres, To a d’abord dû devenir son propre patron, avec sa société Milkyway Images Limited. Et pour gagner cette indépendance financière qui lui permet aujourd’hui d’enchaîner trois tournages par an, et d’en superviser autant en tant que producteur, celui-ci a dû, sinon se compromettre, du moins mettre son talent de côté pour signer un grand nombre de produits commerciaux.

A la manière de Clint Eastwood dans les années 80, Johnnie To a depuis le milieu des années 90 alterné entre grosses productions comiques et films personnels à un rythme métronomique. Sa reconnaissance tardive lui a permis de se consacrer pleinement à des projets plus ambitieux, tels que la saga Election et le stupéfiant Exilé.

On peut ainsi clairement diviser les trente films présentés durant ce mois de mars en trois catégories : le To producteur, le To cinéaste, et le To « intéressé », concepteur de comédies calibrées, souvent écrites en duo avec son partenaire Wai Ka-Fai. Bien sûr, ce n’est pas parce qu’il dirige Andy Lau dans une bluette romantique que l’homme perd soudain tout son talent. Le charmant Yesterday once more, hommage déclaré à La main au collet de Hitchcock, le prouve si besoin est. Mais de manière générale, les Fat Choi Spirit, Love on a diet et autre Needing you n’ont qu’un intérêt anecdotique dans la compréhension de la carrière de To.

Des polars ludiques, mélancoliques et virtuoses

En dehors de quelques brillants apartés (le très « autre » Running on Karma, dont le héros est un philosophe bodybuildé et strip-teaseur, ou Judo, réactualisation d’un film de Kurosawa), c’est dans le polar que le cinéaste s’épanouit le mieux. C’est bien simple, depuis John Woo et Tarantino, on n’avait jamais filmé les flics et les gangsters de cette manière. Pas de fusillade orgiaque ou de dialogue référentiel chez To, pourtant. Son « truc » à lui, c’est la rupture de ton, le mélange des genres, le jeu constant sur les attentes d’un public qu’il ne prend jamais de haut, mais toujours par surprise.

Malgré la réussite de Running out of time et de sa suite, où on voyait déjà un flic poursuivre un cambrioleur…en vélo, c’est The Mission qui est longtemps resté le titre le plus emblématique de ce style. To filme des hommes mûrs guidés par un seul objectif (leur « mission », donc), qui s’en détournent pourtant à chaque fois, au dernier moment. Comme si une inexplicable mélancolie les empêchait de faire ce que leur rôle leur impose. Un paradoxe visualisé à l’écran par ces fusillades très statiques, étirées au maximum par une succession de ralentis qui confine presque à l’abstraction. Les coups de feu résonnent dans des espaces volontairement impersonnels et déserts (un supermarché, une rue, un HLM…), la musique se fait minimaliste, et les balles font mal… PTU, Breaking news, Election, Exilé, et tout récemment Mad Detective ont poussé jusqu’à son paroxysme cette manière anti-spectaculaire (et pourtant puissamment évocatrice) de mettre en scène l’action, mélange étrange entre l’ascétisme melvillien et la décomposition du mouvement imaginée par Sam Peckinpah.

Une équipe bien rôdée

C’est sans aucun doute la digestion de ces nombreuses influences, qui alimentent mais ne parasitent jamais le travail du réalisateur, qui ont aidé à sa reconnaissance en Occident. Contrairement à nombre de ses collègues, To n’a jamais été tenté par un exil américain, avant la rétrocession de 1997. Au sein d’une industrie hong-kongaise minée par le piratage, la censure chinoise et le départ de ses forces créatrices, Johnnie To a profité de la conjoncture pour faire entendre sa voix. Sa singularité, son succès aussi, ont amené vers lui les meilleurs acteurs locaux, d’Andy Lau à Simon Yam.

A Hong-Kong plus qu’ailleurs, on le sait, le nombre d’acteurs et de techniciens en activité est faible. Pas surprenant, alors, de revoir d’un film à l’autre les mêmes têtes, aux mêmes « postes ». Le cinéma de Johnnie To, qui est aussi l’œuvre d’une équipe de plus en plus rôdée, s’est bonifié film après film. Il est aussi devenu familier aux spectateurs qui le suivent depuis bientôt dix ans. Ces derniers pourront satisfaire leur curiosité en découvrant les nombreux autres polars que l’homme a produit (et parfois, officieusement, co-réalisé), tels The longest nite, dont la tortueuse intrigue n’est pas sans évoquer Usual Suspects. Quand aux néophytes, ils n’ont à partir de ce mercredi qu’un petit mois pour rattraper leur retard…

Sélection présentée à la Cinémathèque, du 5 mars au 11 avril :

Films réalisés par Johnnie To : Heroic Trio (1993), Heroic Trio 2 : the Executioners (1993), The Mission (1998), A hero never dies (1998), Running out of Time (1999), Running out of time 2 (2001), PTU (2003), Breaking news (2004), Throw down / Judo (2004), Yesterday once more (2004), Election (2005), Election 2 (2006), Exilé (2006)

Films co-réalisés par Johnnie To et Wai Ka-Fai : Help ! (2000), Needing you (2000), Fulltime killer (2001), Love on a diet (2001), My left eye sees ghosts (2002), Fat choi spirit (2002), Love for all seasons (2003), Running on karma (2003)

Films co-réalisés par Johnnie To, Tsui Hark et Ringo Lam : Triangle (2007)

Films produits par Johnnie To : Beyond hypothermia (Patrick Leung, 1996), Too many ways to be number 1 (Wai Ka-Fai, 1997), The odd ones dies (Patrick Yau, 1997), Expect the unexpected (Patrick Yau, 1998), The longest nite (Patrick Yau, 1998), Spacked out (Lawrence Ah Mon, 2000), Filatures (Yau Nai Hoi, 2006)

Films autour de Johnnie To : Irma Vep (Olivier Assayas, 1996)


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