Retour critique : « The Artist », Michel Hazanavicius

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Question pour un champion ou Qui veut gagner des millions ?

Mai 2011, le jury du Festival de Cannes fait le grand écart en réunissant dans son palmarès les extrêmes de la sélection. Une belle manière de dire que le caractère aventureux et frondeur du cinéma peut se trouver aussi bien chez les grands auteurs plébiscités par la profession (Malick, Bilge Ceylan, les Dardenne) que dans les figures populaires (Maïwenn, Kirsten Dunst). Le sacre aussi attendu que surprenant de Jean Dujardin comme prix d’interprétation masculine aurait pu en être un éclatant symbole. Aurait pu ? Oui car face à l’engouement, apparemment durable, autour de la figure du réalisateur Michel Hazanavicius – proclamé nouveau hérault de la comédie française avec les deux volets de la série des OSS, défendus en ces pages – The Artist peut finir par apparaître, à l’image de ses précédentes réalisations, comme un coup d’esbroufe peut-être efficace, mais absolument pas génial.

Le grand quiz

Un film muet par un réalisateur populaire avec un acteur star…. Quel culot ! Un sacré coup de pub surtout. Si on ne doute pas de la sincérité et  sans doute des bonnes intentions de Michel Hazanavicius, le résultat n’est guère glorieux depuis trois films. Si les OSS détournaient les codes et parodiaient les genres, The Artist, lui, passe à la vitesse supérieure et copie/colle les films du répertoire. Tout ou quasi tout dans le film est emprunté ailleurs. Le film pourrait ainsi être ludique pour le cinéphile s’il n’était à ce point horripilant de constater que le jeu de la citation n’est pas celui du réalisateur. L’intrigue est largement reprise de Chantons sous la pluie (Stanley Donen et Gene Kelly, 1952) : George Valentin (Dujardin en décalque de Rudolph Valentino), star du muet confrontée à l’émergence du parlant et à la difficulté de s’adapter, tombe amoureux de la nouvelle vedette du parlant, qui n’était pourtant qu’une danseuse du studio, et tous les deux – attention spoiler ! – finiront par se retrouver à l’affiche du même film en lançant les comédies musicales cinématographiques. La vedette féminine du muet dans The Artist est d’ailleurs un quasi sosie de Jean Hagen, qui incarnait l’inénarrable Lina Lamont dans Singing in the rain. Les séquences se suivent et se ressemblent : la présentation du film, la scène de danse entre le couple… De ci de là, ce sont aussi des réminiscences d’Une Etoile est née (George Cukor, 1954) qui pointent : l’ascension de la jeune actrice face au déclin de la star.

 

Pour rendre l’ensemble plus dramatique, on lorgne un peu – beaucoup – du côté d’Umberto D. de Vittorio De Sica (1952) et on adjoint au personnage de Dujardin un gentil et mignon chien qui par deux fois sauvera le héros. Comme tout est bon à prendre, le chien sera aussi un clin d’œil à Max Linder et Charlie Chaplin. Pour paraître intello, c’est Citizen Kane qu’on convoque : le grand homme déchu est entouré des reliques de sa gloire passée et va, cadré en plongée, mirer un portrait fait de lui à son apogée. Pour faire plus muet, Hazanavicius rejoue des effets de paranoïa visuelle du Dernier des hommes (Friedrich W. Murnau, 1924). On peut ainsi à chaque scène de The Artist accoler le titre d’un classique de l’histoire du cinéma, le scénario final n’étant qu’une mosaïque de scènes reprises à droite à gauche. Le tout est baigné d’une incessante musique de Ludovic Bource, largement inspirée des mélodrames américains des années 50 – qui s’arrête tout de même dans les moments d’émotion intense, manière de les sursignifier par le silence, avant de repartir de plus belle. The Artist est un gloubi boulga de références éparses largement identifiables qui font du film un fourre-tout finalement peu cohérent, surtout si l’on reprend le postulat de base de faire un film muet. The Artist, c’est un album de reprises qui tente de se faire passer pour création originale.

C’est joli, ça brille

Le problème n’est pas tant que The Artist soit un amoncellement de citations – c’est depuis son quasi inédit premier film (La Classe américaine pour Canal +, à partir d’images des films de la Warner) la pratique du réalisateur – que leur trop visible vacuité. Les références ne sont jamais véritablement admises et le film n’est en rien un hommage à de possibles modèles. Cet aspect compilateur aurait pu éventuellement trouver une légitimité si une quelconque dimension théorique lui avait été conférée : des citations comme fondement même de la pratique et leur transcendance (à l’image d’un Brian de Palma), un essai théorique énième avatar d’un postmodernisme éculé (à la Psycho de Gus Van Sant)… The Artist n’est rien de tout cela. C’est du neuf vieilli. Tarantino gratouille sa péloche avec talent (Boulevard de la mort, 2007), pourquoi pas après tout tenter l’expérience du muet. Mais Hazanavicius ne fait pas un film muet, il fait un film muet d’il y a quatre-vingt-dix ans – en y ajoutant les codes de la comédie romantique contemporaine, histoire de s’associer l’attention du spectateur. Il duplique et simplifie – appauvrit – le cinéma des années 20, celui-là même qu’il représente à l’écran.

 

Manifestement beaucoup de questions d’apparat se sont posées pour The Artist : décors, détails historiques, jeu des acteurs… Mais on passe à côté des questions essentielles : qu’est-ce que cela signifie de tourner un film muet à l’époque où le cinéma est parlant ? Et aussi de quelle manière le faire ? Sans postulat de base, il ne reste que le copier/coller aussi stérile que pénible qui fleure bon le plan com’ : « on a fait un film muet avec Dujardin. » Honnêtement, il n’y a pourtant pas de quoi se vanter car ce n’est ni plus ni moins qu’une forme contemporaine de réactionnisme que finissent par véhiculer Hazanavicius et son équipe, un regard mi-amusé mi-condescendant sur le passé : le « c’était mieux avant » et la nostalgie d’une époque qu’on n’a pas connue. The Artist est le comble du faux vintage chic et facile : joli vu de l’extérieur, mais désespérément vide à l’intérieur, une belle reproduction de l’objet mais dénué de toute son émotion et sa sincérité. Il érige le factice en réel.

Pas de quoi s’étonner alors de l’esthétique méchamment publicitaire de The Artist. Ce film, par essence et comme les précédents du réalisateur, se doit d’être clinquant et tape-à-l’œil, c’est sa destinée, son unique raison d’être. Il doit être immédiatement séducteur car il n’a rien d’autre à offrir. La photographie est superbe jusqu’à l’écœurement, les acteurs font bien leur boulot – encore que le show permanent de Dujardin finisse par se révéler lassant –, les mouvements de caméra sont élégants… Passée la constatation qu’avec de l’argent, on peut faire des films visuellement beaux et faire son boulot de manière correcte, il ne reste pas grand-chose. On peut se laisser attirer par les paillettes de The Artist. Mais il ne faut peut-être pas s’approcher de trop près, sous peine de découvrir que l’édifice est intégralement en toc.

A lire la critique du film par Stéphanie Chermont.
 


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