Jean-Pierre Darroussin, acteur assez prodigieux quand il est bien dirigé, est ici sous-employé, ou pas en forme, comme s’il ne croyait pas au film. Anna Novion présente un homme autoritaire mais renfermé qui, au cours de cette sorte de road movie lorsqu’il aura pris un jeune homme en covoiturage, changera et s’ouvrira au monde. Darroussin, dans cette sorte de médiocre téléfilm, ne nous offre que quelques expressions insipides, semble mal dans sa peau, pas à sa place, emprunté. Fagoté comme l’as de pique, on a du mal à croire qu’il est un architecte de renom, sorte de requin du béton armé qui, lorsqu’il apprendra qu’il vient de remporter un marché, aura un mesquin petit sourire anémique. Voix complètement éteinte, on dirait qu’il s’économise pour donner la part belle au petit jeune blondinet, Anastasios Soulis, à la figure raphaélique qui semble quant à lui irradier de l’intérieur même s’il est censé interpréter le rôle d’un jeune homme en mal d’amour. Un couple improbable donc, écrit sur le papier mais qui a du mal à s’incarner.

Pourtant, la réalisatrice et son acteur principal se sont donnés du mal puisqu’ils ont fait ensemble le voyage en voiture jusqu’en Laponie pour voir si le scénario pouvait passer pour véridique. On s’attend alors à voir des paysages renversants, des tableaux à vous couper le souffle. Même la photo ici s’économise et les décors ne sont qu’appartements sans âme et paysages urbains d’une tristesse infinie. Et, quand par hasard, on s’aventure à la campagne, on ne verra pratiquement que le bitume de la route parce qu’il faut qu’on se le dise, Anna Novion a voulu tourner un road movie. Et les road movies, c’est la chose la plus difficile à filmer au cinéma, c’est connu. On aurait tendance à le croire vu la lenteur et la pauvreté du scénario, dont la seule scène d’apothéose est la visite au grand-père du jeune homme dans laquelle tout passe dans le regard. Ça ne suffit malheureusement pas à sauver un film qui manque assez de souffle et d’inspiration.
Hormis la rencontre avec le grand-père, le film présente un autre temps fort : dans une forêt, Darroussin, qui s’explique par téléphone avec sa compagne rencontre un élan qui se laisse caresser et repart, comme un reproche vivant. La scène est très belle, justement parce qu’elle ne semble pas avoir été pensée. On la dirait presque naturelle, fortuite. La réalisatrice compare le passage de cet animal sauvage au passage d’une étoile filante merveilleuse qui permet alors à Ernest (si l’on n’arrive pas à se souvenir du nom de son personnage, c’est parce que Darroussin fait du genre en en rajoutant une couche dans le style nounours mélancolique et ronchon) de se libérer enfin de quelque chose. Mais de quoi ? Sans aller jusqu’à dire qu’elle sauve le film, cette séquence laisse augurer un autre avenir au cinéma d’Anna Novion si elle se décide à couper court avec ses racines nordiques qui plombent le film dans la mélancolie au lieu de le porter vers la comédie, genre pour lequel elle semblerait avoir plus d’empathie.