Rencontre avec Mike Mills

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Pour la sortie de son film « Beginners », Mike Mills était à Paris, ville qui ne cesse de l’étonner. Utilisant ses souvenirs, le réalisateur américain dresse le portrait de plusieurs générations, mentalités et apparences… sans oublier un chien qui parle.

Mike Mills, avant d’être réalisateur, est un artiste. Dessinateur, réalisateur de clips musicaux notamment pour ses amis du groupe Air, il tente avec Beginners de faire revivre l’histoire de sa famille avec une touche d’humour et de nostalgie. Utilisant la photographie, la musique, le graffiti et le dessin, il met à l’honneur un duo réussi, Ewan McGregor et Mélanie Laurent. Nous l’avons rencontré à Paris, avec curiosité…


Qui êtes-vous Mike Mills?

Qui suis-je ? Bonne question. Je ne suis pas Oliver, le personnage principal de mon film, non. Il y a une part de moi en lui, ça c’est sûr, mais pas tout. En fait, je suis la dernière personne à savoir qui je suis. Je pense que c’est impossible de répondre à cette question. On passe notre temps à essayer d’être celui ou celle que l’on désire être. Souvent, les personnes autour de nous savent mieux qui nous sommes et peuvent répondre à cette question. Et c’est finalement une partie de cette question qui se trouve dans le film : qui sommes-nous ? Oliver tente d’expliquer à son chien d’où il vient. Je crois qu’il tend à se l’expliquer à lui-même. L’histoire qu’il se raconte ne dit pas ce qu’il est, ce qu’il aime, ce qu’il adore mais ça en donne les pistes. J’adore cette question, au final, je me la pose souvent, mais je n’ai pas trouvé la réponse parfaite.


Dans Beginners, vous donnez en effet un des rôles principaux à un chien… Il est formidable, très expressif avec ses grands yeux. Comment s’est déroulé le casting de cet acteur à poils courts ?


Plusieurs chiens sont venus chez moi. Pendant de nombreux jours, je les ai vus « jouer ». Cosmo – c’est le nom du chien retenu pour le rôle – était avec un coach français, Mathilde. Une femme merveilleuse avec laquelle l’animal était totalement naturel, simple. Cosmo est un chien adorable, c’est presque une personne. Il vous regarde droit dans les yeux, saute sur vos genoux, aime être beau lorsqu’on le filme… Ce côté généreux et véritable donne beaucoup de sens au film.

Est-ce votre premier voyage à Paris ? Que pensez-vous de cette ville ?

Non pas du tout ! J’ai plein d’amis français et je viens ici depuis très longtemps. J’adore cette ville. Après, dire ce que j’en pense, c’est une autre question à la réponse difficile, voire impossible… Les Français sont tous différents. Certains sont mes meilleurs amis, ils vivent ici. Je connais aussi de nombreuses Américaines qui se sont mariées avec des Français. J’ai réalisé plusieurs projets vidéos pour le groupe AIR, figurant parmi mes amis français. Paris est une belle ville évidemment, surtout lorsque vous êtes américain. Les Américains sont les principaux fans de Paris… Je vis à Los Angeles et pour mes amis parisiens, c’est une ville incroyable parce que l’opposé de Paris. Pas d’Histoire, pas de nouveautés, un peu étrange, pas très jolie, mais ils se sentent extrêmement libres là-bas. Pour moi, c’est l’inverse ici, « Ah, est-ce que Rimbaud a marché ici ? Et là ? », vous voyez ? « Est-ce que de grands hommes sont venus ici ? ». C’est très excitant. Et j’adore Beaubourg plus que tout… Quel touriste je fais !

Vous appréciez l’Art. Est-ce que votre film lui rend hommage?

Oui, c’est vrai. J’ai commencé à écrire le film 6 mois après la mort de mon père. C’était mon deuxième parent qui partait. J’étais dans une sorte de crise d’identité – qui suis-je, qu’est-ce que je suis devenu – au moment où c’est arrivé. Et j’avais cet âge de transition, 38-39 ans, quand vous êtes à la moitié de votre vie, c’est un cap difficile à passer. C’est pourquoi j’ai décidé de mettre toutes les choses que j’aime dans mon film. C’est un grand fourre-tout de mes passions et c’est très vaste. J’ai débarqué avec ce début : qui suis-je, qu’est-ce que j’aime, pourquoi suis-je ici, qu’est-ce que j’adore ? Le film est devenu le réceptacle de tout cela.

C’est donc un film très personnel, réunissant toutes vos passions et vos souvenirs…

Exactement…

Qu’est-ce qui appartient à votre passé et qu’est-ce qui a été inventé ?

C’est une combinaison drôle entre une biographie, de la fiction et pas mal de rêves. Mes parents se sont mariés en 1955, ils sont restés ensemble pendant 44 ans, mon père est finalement parti progressivement de la maison, puis il est mort. C’était difficile de me souvenir de la vie de mon père, mais lorsque vous travaillez vos souvenirs, vous vous concentrez sur le passé, sur ce qui s’est déroulé, ça marche. Mais les souvenirs s’effacent, se modifient, ils deviennent même parfois erronés. Ils sont curieux, bizarres, comme des rêves. C’est un peu de la nourriture émotionnelle. Quand vous les fixez professionnellement, que vous devez en faire un film, ils deviennent de véritables rêves. Ils ne sont pas du tout effrayant. Je me souviens bien de mes parents mais tout est devenu de la fiction. Ce qui est plaisant, c’est de raconter une histoire à partir de ses souvenirs. Comment étaient les gens à cette époque, qu’est-ce que c’était d’être heureux…

Photo Laetitia Lopez


Et c’est totalement didactique !

Selon moi, c’est si didactique que c’est devenu étrange ! « Voici comment les gens étaient heureux en 1955 », c’était sincèrement impossible de communiquer sur une époque sans parler des gens. Montrer des images de personnes souriantes ne partait pas de l’envie de montrer leur bonheur ou non, mais plutôt de s’interroger sur le temps, les époques, qui nous sommes. Est-ce réel ? Qu’est-ce que l’amour ? Les relations sont-elles vraies ?

Votre film traite de l’amour, de la vie, de la mort, du mouvement gay, d’Histoire mais aussi de pas mal d’autres thèmes… Quel était le point de départ de votre scénario ?

Définitivement mon père ! Et les conversations que j’avais avec lui lorsqu’il était en vie. Des conversations surtout centrées sur l’amour et les relations entre les hommes, les femmes, mes propres amours, ce qui est vrai, faux, qu’est-ce que tu attends de la vie, sur l’amour véritable. Mon père homosexuel et moi-même avions des arguments très forts. Mon père hétérosexuel et moi-même étions polis l’un envers l’autre. Toutes ces conversations et d’un coup, c’était fini. C’était le début du scénario, de l’histoire…


Ewan McGregor était votre choix de départ pour incarner Oliver ?

Je ne pense pas de cette manière lorsque j’écris. Je ne suis pas un réalisateur puissant, directif, qui peut dire je veux lui ou elle. Je ne peux pas dire qu’Ewan McGregor était mon premier choix. Quand son nom m’a été proposé par l’agence de casting, je me suis dit : « Génial, mais ça n’arrivera pas… ». Tu te protèges, ça n’arrivera pas. Oh il a le script, super, mais ça n’arrivera pas. Et puis il le lit… et il l’aime, et il veut te rencontrer ! C’est incroyable mais on n’aura pas assez d’argent, il ne sera pas disponible pour le tournage… Finalement, tu le rencontres et c’est quelqu’un d’adorable, de simple, de génial. Et le pompon : il veut faire le film, peu importe l’argent ! J’ai envie de croire aux miracles.

Pendant le tournage, quelle était l’ambiance, la relation entre les acteurs et vous-même ?

C’était top. C’était le meilleur moment que j’ai eu. Vous savez, j’aime réaliser, j’aime être le capitaine du bateau, j’adore les acteurs car la vie est bien plus excitante à leurs côtés, j’aime ce côté famille. Je suis, comme on pourrait le dire en anglais, « pig and shit ». Ewan était comme mon meilleur ami, il a fait un boulot remarquable, on a eu de bons moments. On était dans l’admiration de Christopher – qui joue le père gay de 75 ans –, il a adoré écouter l’histoire de Oliver. On a commencé par filmer la partie dans la maison, l’histoire de Christopher, par ordre chronologique, de l’hôpital jusqu’à sa mort. Après, on a pris une semaine d’arrêt, c’était le moment où j’ai rencontré Mélanie (Laurent). Elle était dès le départ « Poupouh », une boule d’énergie, c’était incroyable de la rencontrer après ces scènes tristes. On a filmé la partie où ils se rencontrent à une soirée déguisée jusqu’à la scène de fin dans le lit, toujours par ordre chronologique. Ewan et Mélanie ont beaucoup improvisé, ils se disaient toujours « Tiens, tu peux faire ça et moi ça ! ». C’était drôle.

Vos films sont lents, quelle en est la raison ?

C’est mon tempo. J’aime que les acteurs soient naturels, qu’ils prennent leur temps, qu’ils occupent de l’espace. Alain Renais, La Guerre est finie, c’est mon type de films. C’est mon rythme.

Quelles ont été vos inspirations pour le film ?

Pas mal de choses… Un peu Woody Allen. J’ai écris ce scénario il y a trois ou quatre ans, c’était une période de crise. Tout ce que j’aime est dans le film. Tout dans les livres de Kundera m’a inspiré mais aussi l’excellente émission radio This American life, grande influence. J’aime Sophie Calle, Christian Boltanski, ce type d’Art m’a beaucoup influencé. Les films hongrois, Fellini aussi. J’aime Renais, Godard, Truffaut, l’Histoire…

On voit de nombreux dessins dans le film. De qui sont-ils ?

Les dessins sont de moi ! Parfois, je commençais à dessiner puis je donnais les dessins à Ewan McGregor. Il me regardait et je lui disais comment s’y prendre. Donc de temps en temps, il dessinait vraiment lui-même, mais de nombreuses fois c’est ma propre main qui dessine.

Et les graffitis sur les murs ?

Dans le passé, j’étais dans cet esprit, je taguais sur les murs… j’ai fais toutes ces choses, j’ai un site et il y a même un livre sur ce que j’ai fais. C’est mon truc.

Photo : Laetitia Lopez

 

Vous avez travaillé avec le groupe Air, en réalisant leurs clips…

Oui, ce sont mes amis depuis longtemps. J’ai travaillé sur Moon Safari, mais aussi sur d’autres vidéos de leurs albums, comme Sexy Boy. J’ai aussi suivi leurs tournées, en format long, à Londres…

Quels groupes français aimez-vous, qui vous influence ?

J’adore Aznavour, c’est un homme intéressant et il y a une connexion dans le film avec Charlie, un homme assez similaire, silencieux, calme. Bien sûr, je suis fan de Daft Punk. Après, je n’aime pas des groupes en particulier mais un ensemble, Serge Gainsbourg me plaît aussi bien sûr…

Il y a une scène entre la mère et son enfant, sur de la « black music ». Qu’est-ce que cela représentait pour vous ?

Oui ! C’était réellement le genre de ma mère d’écouter cette musique, d’aller de l’avant, d’être pour les droits de l’Homme et des Citoyens. Cette scène révèle une génération. Aujourd’hui, on ne dira jamais que la musique noire est la meilleure car ce sont ceux qui ont le plus souffert. C’est politiquement incorrect. Mais quand on est nés en 1925 et qu’on est pour une culture noire, c’est une manière de s’exprimer, de penser. C’était une manière de parler de ma mère. Elle n’écoutait pas ces musiques là en particulier, mais elle adorait les chansons de Sting, le piano, Scott Joplin (il chantonne)… D’ailleurs, on écoute encore ce genre de musiques à Noël, ça me rappelle ma mère. J’ai étudié ces chanteurs, ces chansons, c’est un peu les bases de la musique noire. Il y a cette chanson superbe quand Oliver et Anna sont assis sur le lit, à la fin, qui donne une impression de souvenirs, de nostalgie. J’aime faire de ces musiques un collage, les utiliser comme objets historiques…

Sur quel projet êtes-vous en ce moment ?

Je bosse sur un script, je n’en suis qu’au début. Je ne sais pas exactement de quoi cela va parler mais en tout cas, les femmes sont au programme…

… Des femmes françaises ?

…(Rires) Je ne crois pas ! Je n’avais pas prévu qu’Anna serait française dans le film. Je ne pense pas qu’elles seront françaises. J’ai grandi avec ma mère et mes sœurs, ça je n’en ai pas parlé dans le film. Une de mes sœurs avaient 10 ans de plus que moi, l’autre 7. J’ai grandi avec ces grandes sœurs, ces femmes fortes, et j’aimerais en parler. J’ai l’impression d’avoir appris beaucoup de choses grâce aux femmes. Même tout.

Propos recueillis par Stéphanie Chermont, juin 2011


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