Rencontre avec Katia Lewkowicz

Article écrit par

Actrice mais aussi réalisatrice, Katia Lewkowicz plonge cette semaine dans l´univers de trois femmes, trois corps, trois rêveuses qui vont, à un moment de leur existence, franchir une étape dans leur vie de mère, de travailleuse ou d´icône féminine.

Noémie Lvovsky, Marina Foïs et Laura Smet, trois actrices qui finalement ne forment qu’une seule et même personne, de quoi s’interroger sur les intentions de réalisation de Katia Lewkowicz… Rencontre en toute décontraction, à Paris, quelques jours avant la sortie en salles de Tiens-toi droite.


Comment est né le projet de ce film, Tiens-toi droite ?

Le film est né d’une sensation, j’avais l’impression d’avoir au moins trois femmes en moi qui se battent : une mère pour mes enfants, une femme qui travaille, qui s’épanouit ; et une femme pour mon homme, pleine de féminité. J’avais le sentiment que ces trois femmes étaient constamment en moi, qu’elles se chassaient et qu’il fallait parfois faire le deuil de l’une d’entre elles. J’avais la sensation d’être l’héritière de tous ces combats, de tous ces discours, de ces militantes qui se sont battues pour nous. Je voyais mes enfants, les amis de mes enfants, les petites-filles, comment elles avaient de nouveaux codes, leur féminité à elles devenait exacerbée. La féminité est-elle un chaos aujourd’hui ? On s’est submergées, je voulais partager cette sensation et montrer qu’il n’y avait pas qu’une vérité mais qu’il y a tellement de points de vue. Je suis partie de cette réflexion là.

Si ces trois femmes sont en vous, comment avez-vous choisi vos actrices ?

Il fallait que ce soit trois corps différents, que chacune soit la digne représentante de mondes pleins. La première qui s’est imposée, c’est Noémie Lvovsky : il y a peu d’actrices qui pour moi sont capables d’incarner cette mère de famille là, complète. Il fallait des femmes qui puissent être d’excellentes comédiennes et qui soient des têtes pensantes, intelligentes et sensibles. Laura Smet, c’était une idée de mon producteur. Sur la route pour aller la rencontrer, je me demandais ce qui pouvait donner envie à cette fille de jouer ? Elle est complètement Lili, mon personnage, à part entière, avec sa féminité, ses blessures, elle existe dans un monde bourré de contraintes. Pour Marina Foïs, elle a lu le scénario et elle a dit « je suis Louise », un personnage qui a l’impression qu’il faut se couper une partie de lui-même pour pouvoir réussir et qui en même temps, est faite de doutes et de fragilités.

 


Ce film parle des femmes sans pour autant être un film féministe mais plutôt féminin. Avant le tournage, qu’est-ce qu’il y avait dans votre esprit ? Comment avez-vous écrit ces histoires, comment avez-vous posé ces idées ?

Je voulais faire un état des lieux de la féminité : c’est quoi être une femme aujourd’hui ? Il y a cinquante ans, les images étaient plus claires que ça, soit tu étais femme au foyer, soit une femme qui travaille, on avait des modèles précis de féminité comme Marilyn Monroe ou d’autres femmes comme ça qui assumaient totalement d’être très belles, blondes et avec de grosses poitrines. Aujourd’hui, on veut être tout. Je me suis dit : « Comment a-t-on réussi en si peu de temps à être engluées, à être submergées à ce point ? », c’est le trajet qui m’intéressait.

Les hommes ne sont pas absents du long métrage. Il y a notamment un mari qui, lui, est effacé, presque invisible. C’était important pour vous de garder cette présence masculine ?

Oui, très important. Il est trois hommes et l’un d’entre eux disparaît, devient un fantôme. On ne peut pas définir une femme sans homme, j’ai essayé mais ce n’est pas possible. Je ne voulais pas que le film soit un combat homme vs. femme. Je ne le ressens pas, je n’ai pas l’impression aujourd’hui de me battre contre des hommes. Ce sont nos compagnons. Nous, on a un tel chemin à faire que l’on oublie parfois qu’ils sont là. On oublie de les regarder, on oublie de nous dire que ce sont nos alliés, peut-être a-t-on hérité de trop de frayeurs vis-à-vis d’eux, trop de violence… Mais aujourd’hui, on travaille tous dans le même sens et je me disais que c’est nous qui oublions de les voir. D’où l’idée de fantôme, ce n’est pas lui qui disparait mais ce sont les femmes qui oublient de le regarder. Si nous avançons, ils se modifient forcément. La modification, elle se fait pour tout le monde. Ce n’était pas le sujet de mon film car je pense que c’est un sujet à part entière, mais je voulais quand même qu’ils soient à côté d’elles, qu’ils se modifient aussi, qu’ils tombent malades, qu’ils tombent dans des ravins et que physiquement ils changent. On ne peut pas définir une femme sans un homme, par rapport à nos pères, à nos amants, on veut aussi exister pour eux et on ne peut pas occulter leurs regards.

Parlons de la construction du film, on découvre trois portraits de femmes qui se mêlent pour un final commun. Comment avez-vous travaillé l’écriture, le montage ?

J’avais envie d’un film organique, que l’on ressente, que se soit un film de sensations sans narration psychologique mais que l’on suive ces femmes. Je voulais que ça soit comme cette chose que je ressentais dans mon corps, que chaque femme en chasse une autre, puis une autre… Je faisais des constructions où je me disais que si Noémie Lvovsky accouche, la travailleuse allait pendant six semaines s’arrêter de bosser. C’est le chaos au pressing, les machines pètent. Et si la femme ne va plus travailler, alors la féminité explose. Qu’allait-il se passer ? J’écrivais en faisant avancer le récit où chaque acte posé par une femme allait être acquis pour toutes les autres. Je faisais un vrai trajet à trois, notamment au niveau des sensations. Trois images qui allaient à la fin former un modèle unique, comme un animal à trois tête mouvant, et finalement qu’une seule femme qui se cherche, qui se chasse.

C’est un film drôle, certaines scènes sont originales comme par exemple une partie de basketball en sous-vêtements. De quoi vous êtes-vous inspiré ?

Je n’ai rien inventé ! C’est du documentaire absolu ! La scène de basket, ça vient de ma sœur qui me racontait que chaque lundi soir, elle se retrouvait dans un gymnase avec d’autres femmes qu’elle ne connaissait pas forcément, et elles jouaient au basket. Elle me disait : « Je lâche tout » ! Et elle était d’une violence… Elle venait avec des doigts cassés… Je voulais que dans le film il y ait un endroit où les femmes se défoulent entre elles. J’avais envie aussi que chacune puisse se dire, tiens ça je connais, ça aussi, des choses réalistes, puisées chez moi et autour de moi, sur internet. J’ai collecté un maximum d’informations, de choses qui se passaient.

 


Pourquoi ce titre de film, Tiens-toi droite ?

Ce n’était pas ce titre là au départ, c’était États de femmes. Je voulais faire un état des lieux. Après, le titre est vraiment en aide aux spectateurs, pour leur faire un écho. Et ce « Tiens-toi droite », c’est dit au début du film, c’est comme pour préciser que l’on a un problème de colonne vertébrale, on ne sait pas d’où ça vient, on nous le dit et on le répète à nos enfants comme une injonction, comme quelque chose d’obligatoire… Et si on prend juste cette chose là, qu’on lui redonne son grand sens, à nos filles par exemple en disant : « Dans ta vie, tiens-toi droite », ça serait magnifique. Mais non, nous on le transmet comme un ordre… Le film, c’est un peu ça, toutes ces choses que l’on fait au quotidien, que l’on transmet sans réfléchir, sans s’en rendre compte. Tout ce que l’on fait n’est pas mal mais il faudrait leur donner une grande valeur.

Qu’avez-vous envie de dire à ceux qui vont voir Tiens-toi droite comme un film politique, engagé, féministe ?

Pour moi, le féminisme n’est pas un gros mot, être féministe ce n’est pas vulgaire ou chiant, ce n’est juste pas ma position à moi pour m’engager. J’ai envie que l’on trouve des choses pour que l’on cesse de s’opprimer nous-mêmes. Si chaque femme arrive à se dire : « Mon modèle, c’est moi-même et j’essaie d’avancer comme je peux, je m’assume en tant qu’individu », ça nous permettra d’être plus fortes à toutes pour les grands combats. Mais commençons par les petites choses sur lesquelles on peut agir dans notre quotidien et ne restons pas accablées devant la parité, comment faire… Je ne sais pas, je n’ai pas les moyens dans ma vie d’agir là-dessus. Par contre j’ai les moyens de me poser face à un homme et de dire « je suis ton égale ». La parité pourrait devenir une évidence dans ce cas… C’est mon petit combat à moi.

Les enfants ont un rôle essentiel dans le film et surtout dans leurs manières de penser une poupée. Pourquoi cette grande place à l’enfance, aux petites-filles ?

La poupée, par rapport à cette femme qui évolue, qui se cherche, qui lutte, reste un modèle au corps identique depuis des générations ! Ce modèle ne change pas, on n’arrive pas à le faire évoluer. Alors que j’ai lu des articles qui expliquaient que l’on a des services spécialisés marketing et que ces gens faisaient des réunions.. Mais il se passe quoi pendant ces réunions ? Je me suis dit que c’était une bonne façon de parler de l’évolution de la femme de façon concrète et ludique. Pour les enfants, ce sont des filles qui vont bien, elles ont leurs corps, leurs regards avec leur beauté et leur intelligence. J’ai voulu aussi montrer des enfants que l’on rencontre, que l’on a et que l’on voit, pas que des petites filles aux boucles dorés.

 


Et ce côté 2.0 avec le blog de la jeune fille, quelle était l’intention ?

Je suis allée sur internet et j’ai vu un nombre de trucs horribles… Je n’avais pas vu venir ce phénomène, le résultat est cette multitude de blogs à la détresse absolue, des filles qui s’exposent, en culotte, devant des vidéos et qui demandent à des gens ce qu’ils pensent de leur corps… Elles se soumettent à quelque chose et je me suis dit qu’elles étaient trop petites pour être seules alors que les parents sont là. Le « va jouer dans ta chambre », ce n’est plus la même chose. Comment les enfants vont-ils évoluer avec internet ? À quoi vont-ils être soumise ? Je voulais en parler dans le film.

Ce temps de la documentation, avant d’écrire le film, en quoi a-t-il été essentiel ?

J’ai fait l’histoire de la femme des années 50 à nos jours, j’ai fait tout ce qui a été écrit sur le féminisme, j’ai ouvert mes yeux et mes oreilles autour de moi, j’ai observé les enfants et en fait, je voulais faire le compte rendu de toutes les choses quotidiennes. J’adore le stand up, et en particulier Gad Elmaleh et son geste qui signifie dans son spectacle ‘Pourquoi on fait ça ?’. Leur travail, c’est de dire par l’humour aux gens pourquoi vous faîtes ça ? Et ils s’incluent dedans, pourquoi s’imposer autant de choses ?

Auriez-vous un mot de fin à cette interview ?

J’avais envie de passer par l’humour, que ce film soit un divertissement et que le spectateur, quand il vient voir Tiens-toi droite, soit ouvert à voir une autre forme de narration. Le spectateur doit participer, c’est un film émotionnel et qui pousse à ouvrir son regard, à se laisser faire le temps du cinéma. J’espère que le spectateur va ressentir cette chose qui était mon point de départ, qu’il se dise : « Je vais me foutre un tout petit peu la paix et je vais respirer, je ne vais pas reproduire les choses mais je vais y mettre de moi-même ».

 

Propos recueillis par Stéphanie Chermont le 18 novembre 2014. 
 
 


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi