Rencontre avec Fernando Leon de Aranoa

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Terrifiée à l´idée de perdre sa seule source de revenus, Marcela décide d´occulter la mort d´Amador, le vieil homme dont elle devait prendre soin pendant l´été.

De ce choix découle une intériorisation du personnage, qui par la technique du réalisateur, atteint le spectateur attentif. Avec Amador, Fernando Leon de Aranoa (Princesas, Les Lundis au soleil) nous offre un film humain et poétique. Le réalisateur espagnol nous parle de son nouveau long métrage mais aussi de sa conception du cinéma.

Ce n’est pas la première fois que vos protagonistes sont des immigrants. D’où vous vient cet intérêt pour le destin qui est le leur en Espagne ?

L’histoire des gens qui arrivent en Europe ou aux Etats-Unis cherchant une vie meilleure, ces histoires de survie, m’intéressent. Ce sont des personnes pour lesquelles j’ai beaucoup de respect, ce qu’elles font a beaucoup de valeur et de mérite. J’aime dépeindre leur réalité, mais dans Amador ce que je voulais vraiment explorer c’était le sort de Marcela, la situation à laquelle elle est confrontée. Elle doit choisir entre faire ce que ses principes lui dictent et ce vers quoi la nécessité la pousse. Menée par son désir de survie, elle prend une décision qui la déchire pendant tout le film. C’est ce conflit qui surgit de la nécessité qui m’intéressait, parce que je crois qu’à un autre niveau que celui de Marcela, on se retrouve tous face à cette situation : faire quelque chose que nous ne ferions pas habituellement mais qui peut nous servir pour notre carrière, pour notre vie…

Qu’est-ce qui pousse Marcela à cacher la mort d’Amador ?

J’aime dire qu’elle met en avant la vie face à la mort, et en faisant cela, elle réduit l’importance de la mort qui en fin de comptes n’est qu’un fait physique, biologique. Son principal moteur est sans doute sa grossesse, je crois que c’est ce qui pousserait n’importe quelle femme à faire n’importe quoi. Elle fait ce qu’elle peut pour être dans les meilleures conditions pour accueillir l’enfant, c’est d’ailleurs quelque chose qu’Amador l’incite à faire. Je pourrais même dire que, d’une certaine façon, il lui donne sa permission avant de mourir, quand il parle au futur enfant : « Il y a une place ici pour toi, ta mère va la garder pour toi jusqu’à ce que t’arrives ». Et c’est ce que fait Marcela pendant tout le film, elle défend la place de son futur enfant, par tous les moyens.

En cachant Amador, Marcela minimise certes l’importance de la mort mais le défunt devient alors un personnage à part entière. Pourquoi avoir crée ce paradoxal personnage, absent/présent ?

Une fois qu’il meurt, on ne le revoit plus, pour moi cela a été un choix formel mais qui avait aussi à voir avec ce que je voulais raconter. Le mort disparaît complètement et pourtant sa présence se ressent dans chaque plan. D’ailleurs, quand j’ai proposé le rôle d’Amador à Celso Bugallo, je lui ai expliqué qu’il travaillerait seulement le tiers du film, mais je lui ai promis que le personnage serait présent jusqu’à la fin. Et c’est vrai, parce qu’il conditionne toutes les décisions, il est très vivant ! Marcela continue la vie d’Amador, elle envoie ses lettres d’amour, reçoit ses appels, finit son puzzle, elle le maintient en vie.


Par les nombreuses scènes silencieuses, vous poussez le spectateur à juger Marcela. Quel est le jugement que vous vouliez susciter ?

Je comprends que la première réaction soit de la condamner. De toute façon, c’est cela qui m’intéresse le plus, de savoir que beaucoup de spectateurs la condamneront et que d’autres la comprendront. Mais l’histoire est construite de cette façon, à partir de ce jugement, Marcela nous montre ses raisons. Et puis, sans dévoiler la fin du film, on finit par comparer les circonstances d’un personnage et d’un autre. Notre dernier jugement devrait découler de cette comparaison qui nous aide à relativiser ce qu’elle est en train de faire, on se demande alors ce que chacun d’entre nous ferait.


Vous sous-entendez une grande partie du cheminement psychologique de Marcela. Pourquoi avoir tant misé sur l’expressivité visuelle du personnage ?

Je n’aime pas les films où tout est surligné trois fois, je crois que c’est dans ces cas-là que l’on se désactive en tant que spectateur et que l’on s’ennuie. Si tout est trop évident, on ne réfléchit pas. J’aime forcer le spectateur à faire un pas vers le film. Evidemment, il y a certaines choses que je veux absolument que le spectateur comprenne, on veut transmettre quelque chose. Mais face à la peur d’être grossier, je préfère rester un pas en arrière en ouvrant les possibilités ; je préfère que tout ne soit pas tout à fait clair et qu’ainsi chacun se fasse son opinion.

Les fleurs et les silences occupent une place importante dans le film, ils suggèrent une certaine profondeur. Quelle question philosophique vouliez-vous explorer à travers Amador ?

Il n’y a pas vraiment de question précise mais des thèmes. J’aimais l’idée d’avoir dans une même pièce deux personnages opposés, de faire cohabiter deux forces aussi grandes que la vie et la mort. Je voulais aussi parler d’amour, tout commence par son prénom : Amador (celui qui aime en espagnol), il apprend à Marcela à aimer en lui apprenant d’abord à s’aimer elle-même. En fin de comptes, ce sont les grands thèmes : la vie, la mort et l’amour. Cette histoire m’a permis d’avoir une réflexion sur ces thèmes qui m’intéressent, et les fleurs m’aident à les évoquer. Comme le dit Nelson en parlant de son commerce de fleurs : « elles sont irremplaçables puisqu’elles célèbrent la vie, la mort et l’amour ».

Propos recueillis par Rachel Richez le 7 février 2012.
Retrouvez la critique du film Amador.


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