Rencontre avec Eric Valette

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Éric Valette signe un nouveau thriller, « La Proie », avec Albert Dupontel et Alice Taglioni en têtes d´affiche. Rencontre autour des difficultés de casting, de tournage et surtout d’une envie presque enfantine de faire du cinéma à la sauce noire… Glaçant.

Prémices

Quel était le point de départ de La Proie ?

Le point de départ de La Proie est ce que l’on peut appeller un « pitch » de Laurent Turner et Luc Bossi, les scénaristes. Je ne l’ai même pas lu, ils m’ont parlé oralement, autour d’un verre, de leurs idées qui étaient les prémices de La Proie. L’histoire d’un braqueur qui s’évadait de prison pour se lancer à la poursuite de son ex codétenu, qui lui avait fait un sale coup en lui piquant son argent et en kidnappant sa fille. Le braqueur étant lui-même poursuivi par une femme flic appartenant à la brigade des fugitifs. Cette poursuite à trois protagonistes, c’était leur idée. Moi, ça me plaisait ! D’une part, c’était l’occasion de faire un vrai film de poursuite – j’avais très envie de le faire en tant que réalisateur – et d’autre part, j’aimais bien les résonances avec la réalité. On peut lire dans La Proie des correspondances avec l’affaire Michel Fourniret et Monique Olivier, notamment la partie où Michel Fourniret a volé l’argent du Gang des postiches. C’était ça qui m’intéressait, avec en plus l’idée de faire un grand film d’action qui traverse pas mal de paysages différents en France. J’ai été séduit et j’ai dit banco ! A partir de là, on a commencé à développer le script, tous les trois, dès 2007. Ça a mis deux ans ! Ça a été long à financer ensuite. Luc Bossi a créé sa société de production, Brio Films, qui a financé La Proie. On cherchait un investisseur. Le script plaisait à pas mal de gens. On est passés par un autre studio, Pathé, au départ. Puis, comme nous n’étions pas d’accord sur le casting, on est allés chez Studio Canal, qui était très intéressé par le projet et par l’idée de le faire avec Albert Dupontel, mon idée originelle…

Casting

Vous aviez dès le début une idée précise du casting ?

Chez Pathé, ils voulaient Dujardin ou rien. C’était une idée comme une autre, je n’étais pas nécessairement contre. Mais j’aurais plutôt vu Dujardin dans le rôle du tueur en série, je trouvais intéressant d’avoir Dupontel et Dujardin face à face. Dupontel dans le rôle du bon, Dujardin dans le rôle du méchant. Mais comme le film de Blier (Le bruit des glaçons, ndlr) proposait déjà ce casting, ça n’aurait pas été pertinent. Nous nous sommes quittés en bons termes avec Pathé, ils nous ont laissé notre liberté et Studio Canal a repris le projet comme je l’avais imaginé, j’étais super content de travailler avec eux ! Ils ont fait un boulot formidable pour que le film soit une production intègre, pas formaté pour le système… C’était important que La Proie soit populaire et pour le grand public, divertissant et pas un produit anonyme issu de l’usine Europa…

Quelle image de Dupontel aviez-vous en tête avant de commencer le tournage ?

Dupontel, Albert, j’aime son travail de réalisation, j’adore cet acteur. Il a un côté noir qui est profondément ancré en lui, il a un côté unique. Je ne peux pas lutter contre. Ce côté noir a été un véritable moteur. C’est une source noire qui traverse un film comme un boulet de canon. Je trouve qu’il est passionnant pour ça. Je ne connais pas de films d’Albert dans lesquels il joue un personnage qui n’est pas noir… même dans une comédie qui est censée être « bidonnante », qui le sera, il aura toujours ce côté sombre, fou, agité. C’est toujours ça Albert. J’avais envie d’exploiter ce côté-là, d’y aller à fond, je n’avais pas envie d’avoir un monsieur tout le monde gentillet. Dupontel amène cette noirceur que l’on partage d’une certaine façon, même si elle est plus évidente chez lui. On est proches parfois.

En face de lui, Alice Taglioni. Ce n’était pas le choix de départ, il me semble…

J’aime bien être franc du collier sur les histoires de casting, car c’est souvent déterminé par plein de raisons : âge, argent. Alice Taglioni, je n’y avais même pas pensé avant de la rencontrer. Je connaissais son travail, c’est une bonne comédienne, mais je l’avais rangée un peu comme tout le monde au rayon des grandes blondes parfois décoratives, dans des films hyper grand public. Je me disais « est-ce qu’elle ne va pas manquer de naturel ? »  Elle a ce côté hargneux. Ça s’est immédiatement réglé quand je l’ai vue, charmante, ravissante et en même temps une fille ordinaire. Pas du tout une fille sur qui on se retourne trois fois dans la rue ! C’était très bien de la rencontrer, de discuter avec elle, de voir à quel point elle avait envie de s’engager dans le film. J’ai réalisé sa volonté de changer d’univers… Je ne vais pas jusqu’à dire que l’on réinvente Alice Taglioni avec La Proie, mais je pense que pour elle, comme il y a eu un break de trois ans, avec La Proie, elle démarre quelque chose de nouveau, quitte à revenir à des rôles plus légers dans le futur. Je crois même qu’elle va tourner une comédie bientôt. C’est une fille pas compliquée, elle est agréable.

J’ai remarqué que vous donnez souvent des rôles d’homme à vos personnages féminins, pourquoi ?

J’aime bien les personnages féminins sous tous les angles. Je n’ai pas forcément envie de montrer des femmes fortes – même si les femmes sont fortes par nature –, mais j’aime bien qu’il y ait « à bouffer » pour tout le monde dans le film. Mon personnage va exister pleinement, il ne va pas servir de faire valoir à quelqu’un d’autre. Je ne veux pas de « bonne femme de service »…

Stéphane Debac, nouvelle tête du cinéma français, vous le connaissiez déjà ?

Pas prévu du tout ! Il n’est pas très connu, pourtant c’est un acteur très sérieux, avec un certain nombre de films. Il ne fait pas parti des « bankables ». Au départ, on s’était dit que ça serait bien d’avoir un « bankable », ça varie toujours avec les financiers que vous avez en face de vous. On s’est heurtés à des gens pas nécessairement disponibles ou alors qui avaient peur du film par rapport à l’image. Studio Canal nous a conseillé de prendre un « inconnu », commencer une page blanche, etc. C’était une idée qui me séduisait énormément, on est partis sur ça. J’ai fait des essais avec plusieurs acteurs et Stéphane Debac, que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam – je n’avais vu aucun de ses films –, a joué. Il m’a impressionné, surtout pendant les essais avec Albert. Il avait un timbre, une façon de jouer de son corps, il était venu avec des lunettes aussi… Très belle collaboration avec Stéphane, on s’est très bien entendus. J’ai ensuite découvert ce qu’il avait fait !

Tournage

Quelle était l’ambiance lors du tournage ?

L’ambiance était très ludique, on était là pour s’amuser ! On est de grands gamins, tu sais, avec de gros jouets. Je n’ai jamais tourné de comédie mais on m’a souvent dit que les ambiances de merde étaient sur les comédies (rires). En fait, je fais des films noirs, des polars, des thrillers, des films d’horreur et ça se passe souvent de façon légère, on s’amuse, on déconne. En même temps, on fait un boulot très professionnel, rigoureux. Il y a presque un côté militaire sur un tournage…

Une anecdote sur le film, un bon souvenir de tournage ?

J’ai un excellent souvenir de tournage qui est totalement idiot, une blague ridicule… Quand Stéphane Debac et Natacha Régnier essaient d’attirer la petite fille dans leur voiture. A un moment, on faisait un plan large (rires), au moment où la petite monte dans la voiture, Natacha mettait les affaires dans le coffre et là, Stéphane est parti avec la voiture en oubliant Natacha ! Seule, dans le plan… Pour le coup, ce plan était à hurler de rire, un vrai plan de comédie ! C’était absolument délibéré de sa part (rires), il était parti dans sa logique de psychopathe, il avait oublié sa femme…

Une scène est assez traumatisante, celle d’une course poursuite entre Stéphane Debac et une jeune adolescente rousse… Tout était écrit ?

Ça a été la séquence la plus « faits divers » du film ! Dans cette scène « spoiler », comme on dit, la jeune fille s’en sortait dans le script. Je trouvais que le fait qu’elle s’en sorte enlevait toute la force au personnage de Morel. Le seul moment où on le voit véritablement à l’action – ce que l’on suggère avant. Là, il était en situation d’échec. Ce type là doit aller jusqu’au bout… J’ai pas mal argumenté avec mon producteur, qui était pour une version heureuse, je votais vraiment pour une version plus dure. Au final, j’ai tourné les deux versions. Quand il a vu le montage, le producteur a dit que j’avais raison, que ça fonctionnait, qu’il fallait tenir le public en haleine. C’était aussi intéressant de voir la réaction de la jeune fille, ses réflexes…

Action, personnages et cascades, vous avez réussi à tourner partout sans problème ? Par exemple pour la prison de Toulon, toutes les scènes sur les trains…

Ça a été un tournage très mobile, très rapide, il y a tellement de lieux différents. Il y a très peu de temps où on était posés dans un endroit, on était très mouvants. En moyenne, c’était trois à quatre jours maximum dans un endroit. C’était un tournage intense, logistiquement compliqué. Payant à l’arrivée par contre. Ce n’était pas un énorme budget – 8.3 millions d’euros, ce qui n’est pas le budget d’un film d’action en général. On a maximisé nos moyens pour que tout soit sur l’écran, c’est une question d’intelligence. Toute l’équipe est arrivé à potentialiser l’argent que l’on avait, sans paraître ridicules à l’écran. C’est toujours des casse-têtes entre les exigences du spectacle et la limitation de budget.

Expert du polar, du film noir

D’où vous vient cette passion pour le thriller, cette envie de film d’action ?

J’ai grandi et développé une cinéphilie autour du cinéma de genre. Je regardais des westerns, des polars, des films d’aventure… C’est dans mon imaginaire et je ne pouvais pas penser faire autre chose. C’est comme si vous demandiez à Woody Allen s’il avait envie de faire un film comme Piège de Cristal. Il ne le conçoit même pas ! Ça m’intéresse tellement. Tout autant que la réalité, les faits divers, la criminologie. C’est vrai que lorsque l’on peut essayer de  faire un film d’action un peu flamboyant, lyrique, avec des résonances de réalité, c’est intéressant. Après je n’ai pas la prétention de dire que le film est comme ça, mais ces petites résonances nous rappellent dans quel monde on vit, c’est mieux que d’être dans de l’abstrait total, par exemple Jason Statham qui décime des mafieux serbes dans un entrepôt. Il y a un côté prenant, fort, exagéré, on prend des libertés, c’est une approche qui a un peu plus les pieds dedans.

Du coup, avec Alice Taglioni dans ce rôle, cette idée de donner un véritable personnage à l’actrice se place bien. Elle a une intuition féminine malgré tout…

Oui c’est ça, l’intuition féminine est une petite blague. Je pense qu’il y avait un truc à jouer pour elle dans ce film, sortir de ses emplois. Il y avait une carte à jouer intéressante, j’ai été totalement séduit par ce qu’elle avait fait. J’étais très content du résultat final.

Projets

De quelle manière avez-vous évolué dans la réalisation de vos films ?

Je pense qu’aujourd’hui, je suis moins maniaco-dépressif dans ma mise en scène. Avant, je faisais des films comme Maléfique, maintenant je suis plus dans des films libres, je connais mieux la technique, je laisse plus de places aux comédiens, je leur laisse plus de marge, le but étant d’être le plus discret possible. Je ne suis pas invisible mais je suis devenu invisible pour qu’ils n’aient pas l’impression que la technique les étouffe. J’essaie de faire ça, même si c’est un cinéma hyper technique. J’espère toujours que lors des longues prises, ils ne seront pas coupés, bloqués.

Déjà sur un nouveau projet ?

Je suis actuellement en préparation de Braco 2, des épisodes 5 à 8, diffusés en Novembre. Je tourne ça en Mai jusqu’à fin Juillet. Je boucle la saison. Après, je repasse au cinéma si tout va bien, avec un film de petite taille, plus modeste que La Proie, pour une production qui s’appelle Capteurs de Flags. On fait un polar très noir dans le Sud-ouest, un polar « rural », qui s’appelle Le Serpent aux mille coutures, inspiré d’un roman à la série noire, par un auteur qui s’appelle Doa.

Propos recueillis par Stéphanie Chermont, avril 2011


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