Ran (Akira Kurosawa, 1985)

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Ressortie en version restaurée 4K du film emblématique de Kurosawa.

Lorsqu’il apprend la décision de son père de se retirer et de diviser le royaume en trois parts destinées à chacun de ses fils, Saburo, le cadet, le traite publiquement de vieillard sénile : « Encore peu de temps et nous nous battrons les uns contre les autres, lavant le sang par le sang ». Hidetora ne peut supporter l’insolence de son fils et le chasse. Pourtant, la prophétie de Saburo deviendra réalité. On réalise que le clan Ichimonji court à sa perte : Hidetora est répudié par ses propres fils, qui commencent à s’entredéchirer. La sublime agonie du clan Ichimonji sera lente, mais inexorable – Ran signifie « chaos » en japonais.

Dans tous ses films traitant de la période féodale (Rashomon, 1950 ; Le Château de l’araignée, 1957 ; Les Sept samouraïs, 1954 ; Kagemusha, 1980), Kurosawa décrit la violence, l’absurdité et l’absence de principes moraux inhérents aux enjeux du pouvoir. Ran, adaptation (très) libre du Roi Lear de Shakespeare, en est, avec Le Château de l’araignée, la plus parfaite illustration.

A l’origine du chaos, un homme, Hidetora, qui croit accéder à la sagesse en renonçant au pouvoir et qui s’illusionne sur ses fils. La sanction sera terrible : il sombrera dans la folie. Difficile d’interpréter cette folie. Est-elle la conséquence de la terrible vérité qui s’offre à sa raison : ses fils ne sont que des scélérats assoiffés de pouvoir ; ou provient-elle de la prise de conscience de tout le sang qu’il aura fait couler au cours des batailles livrées ? Un peu des deux, probablement…

Un autre personnage joue un rôle prépondérant dans le descente aux enfers du clan Ichimonji : dame Kaede, reprise du personnage de dame Asagi dans Le Château de l’araignée. Dame Kaede, par ses mensonges, traîtrises et autres manipulations, incarne le Mal à l’état pur.
Les trois fils du clan sont quant à eux dépassés par le processus d’autodestruction du clan. Ils croient contrôler les événements, mais ce n’est que pure illusion. Seul Saburo, par sa sincérité et sa raison, semble en mesure de prendre le contrôle de la situation. Mais il sera lui aussi, inéluctablement, balayé par les rouages menant au chaos.


Ran
est un film superbe. Les séquences de bataille sont admirables, dans lesquelles Kurosawa se comporte en véritable peintre. Le sang s’intègre merveilleusement à un formidable ballet de couleurs. On a d’ailleurs comparé les séquences de bataille des films de Kurosawa à La Bataille d’Alexandre, du peintre Albrecht Altdorfer, ou encore à La Bataille de San Romano, de Paolo Uccello. Mais la dimension esthétique ne saurait faire passer au second rang la bestialité qui se dégage des images : un bras coupé, une flèche planté dans une orbite, des cadavres qui jonchent le sol par dizaines,… C’est d’une manière profondément esthétique que le cinéaste montre l’horreur de la guerre. Tout se passe comme si, dans toutes ces scènes, un combat entre la beauté et l’horreur se jouait ; on retrouve alors le thème de la dualité cher à Kurosawa, et dont Kagemusha, son précédent film, était l’aboutissement.

Le film reçut d’excellentes critiques en Occident (un peu moins bonnes au Japon, cela ne surprend guère). Il faut dire que Kurosawa, juste après son sacre à Cannes en 1980 (Palme d’or), est devenu très « à la mode ». Quand on évoque Ran, on pense à Kagemusha et au Château de l’araignée, avec qui il se dispute le titre de chef-d’œuvre shakespearien du cinéaste. Mais Dodes’ka-den (1970) vient aussi à l’esprit, car il traduit au mieux le « pessimisme anthropologique » que l’on ressent à la vue du chaos proposé par Ran.

Voici donc l’ultime variation du cinéaste sur le misérable destin des hommes. Pourtant, on ne sent pas l’artiste désemparé de Dodes’ka-den. Accepter la fatalité est le meilleur moyen d’être en paix avec soi-même et avec autrui.
Il y a eu la période dorée de Kurosawa, puis sa traversée du désert. Sa fin de carrière s’apparente à celle d’un homme parvenu à une ascèse totale. Ses six derniers films recèlent d’une force extraordinaire.

Titre original : Ran

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Durée : 160 mn


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