Prometheus

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En essayant de raviver la flamme de son ancienne créature, Ridley Scott s’éreinte à ne plus rien inventer, se prend les pieds dans une débauche de moyens pour un résultat sans grand coeur.

Les premiers plans du 20ème film de Ridley Scott, vues aériennes d’une nature rocailleuse, grise et splendide, rappellent les circonvolutions vertes de l’avant-bataille finale de son Robin des bois (2010). Images d’un passé terrien toujours au cœur des œuvres du cinéaste britannique, questionnant le devenir de personnages futuristes. La maîtrise est évidente, les moyens colossaux pour convoquer à nouveau, plus de 30 ans après, le film qui a changé sa carrière, rendant au passage à la science-fiction sa belle plus-value horrifique. La bête, visqueuse et haineuse, était en 1979 la plus grande menace qu’une équipe de scientifiques eut pu imaginer. En 2091, année choisie comme point zéro à toute cette aventure, elle devient au contraire le sujet d’une double quête.

Comment inventer une naissance à la créature qui a déjà vu quatre films réalisés à son attention, elle qui fut dédoublée, mutée, sacrée mère, enfant, tant de fois tuée mais toujours présente dans la course aux plus grandes sagas du cinéma hollywoodien? Et comment renouveler l’intérêt de fans qui viendront certainement, sceptiques à l’idée de souffrir un énième dérivé, ou satisfaits de ravoir aux commandes le réalisateur originel, celui qui a donné le premier et le meilleur film sur cet encombrant passager?
Ridley Scott refuse très consciemment durant deux heures de montrer la créature, déjouant nos attentes jusqu’au plan final de Prometheus, faisant paradoxalement de la naissance dramaturgique de l’Alien le point final à l’aventure qu’il a impulsée.
 

Le mode opératoire est pourtant inchangé, le film peuplé de scènes familières, d’effets éculés par tant de variations. Le lieu sacré où les œufs sont sagement entreposés avant qu’une équipe ne vienne fouiller, la contamination, la scène traumatique du fœtus transmis à une femme, ainsi que la bêtise de certains scientifiques, qui contre toute logique ne restent pas avec les autres, pour leur plus grand malheur.

Le cinéaste calque ses propres traces cinématographiques, construit ses personnages comme on suit une vieille recette : une femme de tête, morale et décidée, un androïde, une figure de riche corrompu qui n’a que faire de la survie de son équipage, et les autres, servant quelques punchlines avant de mourir prématurément. Évidemment, il tente quelques variations, complexifiant ici (la raison première de l’expédition spatiale n’est plus commerciale, mais d’une portée hautement scientifico-théologico-morale !) lissant ailleurs (aucun personnage à la hauteur de Ripley).

Comme dans l’original, la direction artistique est époustouflante, les premières scènes dans le vaisseau, avant que l’équipage ne s’éveille, sont splendides, et le personnage de l’androïde (le papa de Hal en quelque sorte) expose sa condition de machine par un mimétisme cinéphile plutôt marrant. Un clin d’œil, involontaire, à la propre incapacité du cinéaste à éviter la copie.

Refusant le suspense basé sur l’espace claustrophobique du vaisseau, où le degré d’angoisse atteignait des hauteurs désormais cultes, le film se dilue dans une quête moraliste des origines. Les personnages ne sont jamais assez forts pour que la perspective d’un simple et cruel survival ne s’engage, et mêmes les scènes d’actions ne sont pas à la hauteur, de la découverte d’une première créature menaçante jusqu’à l’échappée finale, se jouant pauvrement sur le suspense d’un vaisseau devenu poids morts qui risque d’écraser quelques survivants.

En voulant enrichir le mythe, le réalisateur s’encombre d’une troisième entité, supérieure à l’homme, bien plus ancienne, bien plus avancée, qui serait à l’origine de la création de l’Alien. Les révélations sur ces « bâtisseurs » se succèdent, gloubi boulga théorique, questionnant mollement au passage les responsabilités éthiques de la science, Dieu, les riches et la quête de l’immortalité. Cette nouveauté, un personnage de vieillard ridicule – ressemblant étrangement au Benjamin Button de Fincher – souhaitant acheter sa vie éternelle, est la ficelle scénaristique de trop, celle qui consacre le ratage.

 

Le film est un fourre-tout thématique, appel du pied de Scott à son propre héritage, mais aussi à celui des autres réalisateurs de la franchise. Impressions constantes de déjà-vu, tantôt amusantes (maligne variation sur la fécondation, ici empêchée par un véritable avortement !) mais la plupart du temps redites perturbantes, comme des « échos » visuels d’une science-fiction que le cinéaste a codifié sans plus pouvoir rien y changer. La bête, une fois créée, ne supporte aucune trahison.
 

La virtuosité de Scott se rappelle quand même à nous lorsqu’il filme le corps en mutation d’un extra-terrestre, plongeant littéralement la caméra à travers son ADN en pleine transformation, pour un voyage dans le générique d’ouverture. Comme celui du Millénium de David Fincher où l’humain et la machine s’enlaçaient dans un ballet sensuel, puissante évocation et programme du film à venir. Ici aussi, il y a la beauté d’une forme de création autonome, mais il faudra attendre deux laborieuses heures pour qu’un plan final accouche enfin de la bête tant désirée.

Titre original : Prometheus

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Durée : 123 mn


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