
Elle, c’est Otilia, mère surpuissante entourée de sa nouvelle famille reconstituée, gardant la petite fille à l’écart de Marius, dans la légitimité accordée par le juge. Mihaela Sîrbu joue Otilia, et le jury d’EntreVues l’a récompensé du prix d’interprétation pour son talent à insuffler force de nuances à la terrible mère. Elle succède comme lauréate à Laure Calamy l’année passée, dans le film français Un monde sans femmes de Guillaume Brac. Deux femmes aux antipodes, l’une dans la ligne claire de la mère adolescente rieuse tandis que l’autre n’est que trouble, opacité.
Radu Jade a vu Mihaela Sîrbu pour la première fois dans une pièce de théâtre en Roumanie il y a quelques années. Il l’a faite auditionner pour son court métrage Alexandra (2007). Elle n’obtint pas le rôle, mais il la rappella plus tard pour ce film. La comédienne, après une carrière de 20 ans dans le théâtre indépendant roumain, trouve aujourd’hui que les opportunités sont plus stimulantes du côté du cinéma. « On est plus dans l’attente du rôle qu’au théâtre quand on travaille pour le cinéma. » Elle exerce par ailleurs comme professeur au I.L Caragiale National Drama and Film University de Bucarest.
Second rôle important après The Phantom Father (Lucien Gorgescu, 2011), l’actrice se dit flattée que le jury ait prêté attention à son jeu, et surtout au personnage d’Otilia, qui n’est pas selon elle le plus remarquable du film. Ce en quoi elle se trompe. Mihaela Sîrbu ne parle pas beaucoup d’elle, louvoie un peu, trouvant que c’est plutôt difficile de se confronter au désir des gens sur le personnage d’Otilia. C’est sa première récompense pour un rôle au cinéma, elle ne s’étend pas sur ceux reçus pour le théâtre. Élevée par ses grands-parents, elle décide très tôt, à 6 ans, qu’elle sera comédienne : « ils n’aimaient pas me voir jouer, alors je déclamais de la poésie dans le jardin ».

Elle ne regarde pas beaucoup de films, avoue s’y être mis il y a un ou deux ans seulement ; mais aime 5×2 (2004) de François Ozon pour sa déconstruction incroyable et le personnage de Valéria Bruni Tedeschi, en femme mariée elle aussi ambivalente, ni victime ni coupable, pas facile à aimer. D’évidence, elle a composé aussi une femme si antipathique de prime abord, lui insufflant progressivement l’ambivalence que Radu Jude avait imaginé, évoluant dans la contrainte du décor unique avec l’expérience acquise de son travail théâtral.
Mihaela Sîrbu possède un trait de caractère commun avec son personnage : le calme. Chez l’actrice, on devine de la sérénité, et une gentillesse plutôt évidente. À l’inverse d’Otilia chez qui le stoïcisme physique renforce la cruauté des attaques. L’ex-mari, qu’elle assassine d’une phrase, avant de redevenir la mère aimante de Sofia dans le même plan, le sait bien. Mais le cinéaste surprend lorsque ces plans-séquences font basculer la situation dans la mise en scène fébrile d’une crise de nerfs du père. Face à ce trop plein de fureur, Otilia mute, dans une réaction nécessaire, abandonnant sa mécanique de forteresse quand la peur fait son entrée.

Déjà la comédienne avait proposé quelques changements, craignant qu’Otilia soit « trop dure, trop méchante » pour que le public ne l’accepte. Le cinéaste est d’accord, les répétitions voient Otilia un peu transformée, l’alchimie entre Mihaela et Şerban Pavlu permet de croire au lien d’amour qui a pu unir les deux parents aujourd’hui si pleins de haine l’un envers l’autre. « Je devais faire comprendre qu’elle n’était pas toujours consciente de son attitude, qu’elle devait réagir très vite à ce qui arrivait dans l’appartement, à l’attitude de Marius ». Elle malaxe son personnage, s’accommode des dialogues qui ne changeront pas beaucoup, « quelques lignes seulement », et parvient à rendre Otilia plus humaine, à lui inventer un passé dans les gestes, le regard. Plus le film avance et plus la femme blessée apparaît, en nuance, sans forcer le trait.
Si elle interprètera une productrice dans le prochain film de Corneliu Porumboiu (12h08 à l’est de Bucarest, 2006 ; Policier, adjectif, 2009), l’actrice espère travailler encore avec Radu Jude sur son nouveau projet. Pas de confirmation qu’elle sera au casting, juste le désir de faire des films. Après 20 ans de carrière au théâtre, elle est une nouvelle venue dans le cinéma roumain (et européen), mais sans inquiétude, son visage est souriant, confiant. Nous aussi.
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