Polar : Le cinéma français a repris les armes

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La sortie de "La Clef" est une nouvelle preuve de la vitalité retrouvée du polar français. En l’espace d’un an, de nombreux films policiers ont ainsi fait parler d’eux sur grand écran : "Ne le dis à personne", "Truands", "Contre-enquête", "Le serpent", "Le dernier gang", "Le deuxième souffle", "La chambre des morts"… Ces projets n’ont […]

La sortie de "La Clef" est une nouvelle preuve de la vitalité retrouvée du polar français. En l’espace d’un an, de nombreux films policiers ont ainsi fait parler d’eux sur grand écran : "Ne le dis à personne", "Truands", "Contre-enquête", "Le serpent", "Le dernier gang", "Le deuxième souffle", "La chambre des morts"… Ces projets n’ont rien de tentatives timides : les vedettes se bousculent au portillon, les budgets sont conséquents, les films inspirés.

 

De l’âge d’or au désert télévisuel

Bien sûr, le polar n’a jamais totalement disparu de la production hexagonale. De nombreuses oeuvres utilisent les clichés du gangstérisme et les codes du film policier comme ingrédients pour leurs scénarios. Mais les titres se revendiquant entièrement du genre se sont faits rares. Flics et voyous ont trouvé asile à la télévision, et les spectateurs se sont habitués à voir les Julie Lescaut et Navarro officier dans leur salon. Jusqu’à bouder les rares tentatives cinématographiques pour ranimer le genre (le "Cousin" d’Alain Corneau, "J’irai au paradis car l’enfer est ici" de Xavier Durringer).

La France a pourtant longtemps été l’un des meilleurs représentants de ce genre adoré du public. La faute aux grands scénaristes et réalisateurs de l’après-guerre, Jose Giovanni, Michel Audiard ou Jean-Pierre Melville, qui ont imposé de "grands personnages" stéréotypés, tels le gangster au code d’honneur porté en bandoulière, ou le flic intègre, qui contre l’avis de sa hiérarchie, fait tout pour coincer les bandits. Des visages connus ont porté sur leurs épaules ces films à formule : Gabin, Ventura, Delon, Belmondo. Le genre était alors un fourre-tout passionnant, d’où ont pu émerger des chefs d’oeuvre, comme "Le Samourai", ou des séries B plus anecdotiques (telles "Le Marginal").

Le polar français s’est depuis la fin des années 80 fait le témoin d’une nouvelle époque où les frontières sont devenues plus floues. "La haine" de Kassovitz fait des policiers des oppresseurs inquiétants à la gâchette facile. Dans "L.627" de Tavernier, ils ont tout de fonctionnaires dont les moyens d’action sont dérisoires. Le truand, lui, n’a plus de scrupules ni de morale. Le crime s’est déplacé dans les cités, et touche les plus jeunes, sans distinction. Il parait loin le temps du hors-la-loi gentleman, en trenchcoat et chapeau gris.

Sur la forme, enfin, la façon de filmer le genre a considérablement évolué : l’Asie, et son cortège d’auteurs novateurs (Kitano, John Woo, Park Chan-Wook, Johnnie To) est passée par là, tout comme les USA, porteurs d’un nouveau genre venu du cinéma indépendant, le néo-polar, quasiment inventé par Quentin Tarantino et les frères Coen.

 

Bienvenue dans le monde réel

Pas de fusillades au ralenti ou de déconstruction narrative à la "Pulp Fiction" dans les récents films policiers français, toutefois. Si on excepte les ineptes productions Besson (de "Taxi" à "Wasabi", rien à sauver), les réalisateurs carburent au réalisme. Olivier Marchal, lui-même ancien flic, organise un face-à-face Auteuil-Depardieu, inspiré de faits réels, dans "36, quai des orfèvres". Minutieux, très documenté, plongé dans une nuit bleutée caractéristique du genre, "36" fait office de déclic pour toute une génération d’auteurs : l’ex-journaliste Nicolas Boukhrief livre la même année un "Convoyeur" original, s’intéressant aux convoyeurs de fonds. Le suspense propre à l’histoire n’empêche pas la profusion d’éléments réalistes : de la misère sociale des employés aux détails du métier, c’est un microcosme qui prend vie devant la caméra. Même refrain dans "Le petit lieutenant" de Xavier Belvaux, qui suit le quotidien d’une brigade de la police judiciaire sous un angle anti-spectaculaire, et pourtant captivant.

Les nouveaux polars français s’affranchissent petit à petit des clichés télévisuels en vigueur, en osant explorer de nouveaux territoires. Dans "Ne le dis à personne", Guillaume Canet remet au goût du jour les stéréotypes hitchcockiens, comme le personnage du faux coupable, joué par François Cluzet. Inclassable, Guillaume Nicloux signe une trilogie inspirée ("Une affaire privée", "Cette femme-là", et "La clef"), qui comme chez David Lynch, amène les grandes figures du genre (flics, détectives privés, tueurs en série) aux frontières du fantastique, de l’invisible. "Truands", de Frédéric Schoendoerffer, plante sa caméra dans le milieu sordide de la pègre parisienne, ôtant définitivement toute image glamour au milieu.

Cette tendance à la modernisation des mythes du polar, va de pair avec des essais plus inattendus, comme le "Dernier gang", qui s’intéresse sur un mode assez léger à l’histoire vraie du gang des Postiches, ou le remake du "Deuxième souffle" par Alain Corneau. Là, le réalisateur de "Police Python 357" tente de rallier deux pans de cinéma opposés : le film noir crépusculaire, avec l’histoire de Gu, truand légendaire qui repart pour un dernier coup, et le polar façon Hong-kongais, avec ses couleurs chaudes et ses scènes d’action stylisées.

Peut-on parler de "Nouvelle vague de flingues", alors ? Pas forcément. Une chose est sûre : de nombreux titres prometteurs arrivent ("Les liens du sang", avec Cluzet et Canet, "L’ennemi public n°1", fresque sur Mesrine), et la qualité de ces polars rend chaque nouvelle plongée dans ces mondes ténébreux plus passionnante. Le cinéma français a repris les armes, et ça lui va plutôt bien.

Nicholas Lemale


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